Ladirection des programmes pĂ©dagogiques, Myriam Da Silva, GaĂ«lle Goutain et Florence Labrousse, pour leur contribution Ă  la refonte des cahiers afin d’assurer leur compatibilitĂ© avec Recherchedans la collection des revues et journaux; Recherche dans la collection des cartes et plans ; DisponibilitĂ©; Filtres; Tri des rĂ©sultats de recherche; Premiers pas. Premiers pas; Ouvrir la recherche. Limiter la recherche. Terme recherchĂ©. Chercher. S'authentifier; Le droit. 1991-10-31. jeudi 31 octobre 1991. BibliothĂšque et Archives nationales du QuĂ©bec. Ottawa :[Le droit],1913 QuelleĂ©tait la couleur du cheval bleu d'Henri IV ? Boosted ! 1267 votes . Asked over 9 years ago by Jeriko to Everyone 15-18. Gris. Noir. Blanc . Bleu. Send. sort comments by : popular. recent. mama. qu'elle question rĂ©flĂ©chie ;P over 9 years ago Reply 0. 0. Jeriko @~maijie~ merci ;) over 9 years ago Reply 0. 0. Menthane. Et zut. over 9 years ago Reply 0. 0. Pauline. bleu ?! over 9 years Quelleest la couleur du cheval Blanc d'Henri IV ? 20 avril 2009. 1 minutes de lecture. Internet. Comment contourner la limite de temps de Megavideo. 6 octobre 2011. 3 minutes de lecture. À dĂ©couvrir Ă©galement. Loisirs. Comment trouver de bonnes partitions sur internet ? Par Julien. 12 aoĂ»t 2020 . 4 minutes de lecture. Objets connectĂ©s. Test du Support MisĂ  part que c’est un gros risque de plantage permanant (joke !), vous devez savoir qu’il manque quelque chose d’essentiel Ă  Windows Mobile 5 ou mĂȘme 6 !Le reboot! Héééé oui ! Impossible de rebooter sous Windows Mobile via le menu qui va bien. Vous pouvez juste l’arrĂȘter ou le bloquer (lock). Mais alors comment faire ? Simple ! Gilbertdu Motier, marquis de La Fayette, nĂ© le 6 septembre 1757 au chĂąteau de Chavaniac, Ă  Saint-Georges-d'Aurac (), et mort le 20 mai 1834 Ă  Paris (ancien 1 er arrondissement), est un officier et homme politique français, cĂ©lĂšbre en raison de son engagement dans les rangs de l'armĂ©e des insurgĂ©s amĂ©ricains (1777-1783), puis dans l'aile Premierexemple avec IBM Watson, premier systĂšme cognitif. En 2011 la premiĂšre version de Watson participe au jeu tĂ©lĂ© « Jeopardy » contre des concurrents humains choisis parmi les meilleurs de l’histoire du jeu. Le principe du jeu est de trouver la question Ă  laquelle correspond la rĂ©ponse donnĂ©e par l’animateur. Voici le rĂ©sultat. Dequelle couleur est le ciel quand il fait beau ? Quel est le pluriel de « cheval » ? Quelle est la couleur du cheval blanc de Henri IV ? Question mathĂ©matique (solution 3) Cette solution consiste Ă  intĂ©grer une question mathĂ©matique Ă©lĂ©mentaire dans le formulaire comme par exemple : Combien font 8 moins 2 ? (en chiffres) Quel est le nombre entre 45 et 47 ? (en chiffres) ï»żLeredĂ©marrage de la fonderie a pu avoir lieu le 29 juin 2022 sur une partie sĂ©curisĂ©e et dĂ©limitĂ©e de l'atelier, en prĂ©sence des enseignants et personnels du campus. Cette reprise des activitĂ©s de fonderie se fera progressivement, le temps des travaux de couverture de la toiture fin septembre et des nouveaux agencements sur le reste de FleuronhĂŽtelier du groupe LVMH, Cheval Blanc ouvre sa premiĂšre adresse urbaine au . cƓur de Paris, au sein de la mythique Samaritaine. Avec ses vues inĂ©dites sur la NLNKV. Tout est signe. Mais il faut une lumiĂšre ou un cri Ă©clatants pour percer notre myopie ou notre surditĂ©. MTR 193AbstractThis article addresses the ubiquitous presence of semiotics in Tournier’s Le Roi des Aulnes. First, the different categories of signs are investigated, including the signs’ influence on the protagonist Tiffauges, who reports on this influence in his journal. By doing so, Tiffauges involves the diary’s narratee, and, indirectly, the novel’s implied reader, into his struggling with signs and signification. Secondly, this article focusses upon one particular semiotic category, namely onomastics. This category, despite its omnipresence in the novel, has been underresearched until now. This article proposes a detailed analysis of the novel’s onomastics in all its anagrammatical richness and ambiguity. IntroductionParu en septembre 1970 et obtenant le prix Goncourt Ă  l’unanimitĂ© le mois suivant, Le Roi des Aulnes est le deuxiĂšme roman de Michel Tournier aprĂšs Vendredi ou les Limbes du Pacifique. Garagiste Ă  la Porte-des-Ternes Ă  Paris, le protagoniste appelĂ© Abel Tiffauges, droitier, constate accidentellement qu’il arrive aussi Ă  Ă©crire de la main gauche il intitule son journal par consĂ©quent Écrits sinistres. Ce gĂ©ant myope de 110 kg se dĂ©couvre de plus en plus friand de viande crue et de lait 2 kg et 5 l par jour, ce qui confirme sa vocation ogresse qui se manifeste Ă©galement dans son amour des enfants. AccusĂ© de viol, Tiffauges est sauvĂ© par la mobilisation en septembre 1939. Prisonnier de guerre, il est envoyĂ© Ă  Rominten, la rĂ©serve de chasse de Goering, puis en Prusse-Orientale oĂč, accompagnĂ© de son cheval gĂ©ant Barbe-Bleue, il Ă©cume la campagne Ă  la recherche de garçons destinĂ©s Ă  la formation d’officier SS dans l’internat de des signesTraditionnel en apparence, Le Roi des Aulnes est un roman plein de signes Ă©crit par un auteur qui s’est plu Ă  crĂ©er un personnage qui a du mal Ă  voir, entendre et comprendre ces signes. Pour David Bevan l’apogĂ©e sĂ©miotique de l’Ɠuvre de Tournier est Le Roi des Aulnes, oĂč le signe est Ă  tout moment souverain » 1986, pp. 67–68. Abel Tiffauges se plaint des difficultĂ©s qu’il rencontre Ă  percevoir les signes, notamment par sa myopie, et il est obsĂ©dĂ© par leur interprĂ©tation. Physique mais aussi mentale, cette myopie, appelĂ©e Ă©galement cĂ©citĂ© par lui, est surtout tournĂ©e vers l’extĂ©rieur, vers la rĂ©ception des signes, car dĂšs la premiĂšre page du roman Tiffauges se montre extrĂȘmement lucide et conscient de son moi et de ses origines immĂ©morialesJe crois aussi que je suis issu de la nuit des temps. [
]. Quand la terre n’était encore qu’une boule de feu tournoyant dans un ciel d’hĂ©lium, l’ñme qui la faisait flamber, qui la faisait tourner, c’était la mienne. Et d’ailleurs l’antiquitĂ© vertigineuse de mes origines suffit Ă  expliquer mon pouvoir surnaturel [
]. MTR 191Vraies ou plutĂŽt fausses, cette conscience et cette connaissance de soi-mĂȘme je ne suis pas fou »*Footnote 1 amĂšnent Tiffauges Ă  statuer du sĂ©rieux total » de son journal. Ce garagiste explique et justifie les raisons de ses Écrits sinistres* je compte en partie sur ce journal pour Ă©chapper Ă  ce garage, aux mĂ©diocres prĂ©occupations qui m’y retiennent, et en un certain sens Ă  moi-mĂȘme » MTR 192. Il exige de son narrataireFootnote 2 qu’il prenne son Ă©criture au sĂ©rieux » , et l’avenir aura pour fonction essentielle de dĂ©montrer – ou plus exactement d’illustrer – le sĂ©rieux* des lignes qui prĂ©cĂšdent ». D’emblĂ©e Tiffauges s’y prĂ©sente prĂ©cisĂ©ment en ce qui le caractĂ©rise le plus comme ogre », monstre fĂ©erique » . L’écriture de son journal correspond Ă  cette nĂ©cessitĂ© sinon cette condamnation de s’exposer, de s’exhiber conformĂ©ment Ă  l’étymologie Ă©tablie par Tiffauges des mots monstrer »* et monstrer »*Footnote 3. La constatation que les monstres ne se reproduisent pas » MTR 192 annonce les passages oĂč il est question de la sexualitĂ© de Tiffauges, qui fait l’amour comme un serin » MTR 195 et qui a le sexe, Ă  l’ñge de vingt ans, d’enfant impubĂšre », diagnostiquĂ© microgĂ©nitomorphe* par un mĂ©decin local MTR 249. En dĂ©crivant cette recherche Ă©tymologique rĂ©alisĂ©e, Tiffauges montre encore combien il est attentif aux signes, en l’occurrence aux mots et Ă  leurs souches, attention en profondeur s’il en est ! D’emblĂ©e le lecteur est invitĂ©, sinon contraint, Ă  suivre Tiffauges sur le chemin de l’étymologie,Footnote 4 piste qui remonte dans le temps pour Ă©tablir l’origine des mots. Tiffauges se dit lui aussi issu de la nuit des temps » et parle de l’antiquitĂ© vertigineuse de [s]es origines » MTR 191. Il est Ă©tabli un parallĂ©lisme entre la naissance de Tiffauges et celle des mots, souches qui sont situĂ©es Ă  une Ă©poque immĂ©moriale. Avec l’apocalypse imminente Ă  la fin du roman, Tiffauges se dote ainsi d’une certaine intemporalitĂ©, caractĂ©ristique qu’il partage avec Nestor, son camarade du collĂšge Saint-Christophe MTR 205.Le passage citĂ© plus haut montre Ă©galement le caractĂšre franchement invraisemblable de ce journal rĂ©flĂ©chi et hautement intellectuel tenu par un garagiste qui indique qu’ [Ă ] la fin de ma seconde, il Ă©tait clair que je ne passerais pas mon baccalaurĂ©at » MTR 248. DĂšs les premiĂšres lignes du roman cette invraisemblanceFootnote 5 se confirme Ă©galement au niveau du style soignĂ© et travaillĂ© du journal. C’est comme si, Ă  son insu au dĂ©part, le lecteur Ă©tait traĂźnĂ© par Tiffauges narrateur dans la zone d’ombre du caractĂšre exceptionnel dont il tient Ă  le obsession des signes date de ses annĂ©es d’initiation au collĂšge Saint-Christophe oĂč il n’[a] cessĂ© d’observer des hiĂ©roglyphes tracĂ©s sur [s]on chemin ou d’entendre des paroles confusesFootnote 6 murmurĂ©es Ă  mes oreilles, sans rien comprendre, [
] mais aussi [
] la preuve rĂ©itĂ©rĂ©e que le ciel n’est pas vide. Or cette lumiĂšre [
] n’a pas fini d’éclairer ma route » MTR 193. L’interprĂ©tation des signes dĂ©termine la conduite, la vie de Tiffauges. [C]ette lumiĂšre », c’est d’abord la dĂ©couverte rĂ©cente par Tiffauges de sa capacitĂ© d’écrire de la main gauche. Perçue avec un frisson sacrĂ© » MTR 216, cette rĂ©vĂ©lation est considĂ©rĂ©e par Tiffauges comme une rupture, qui s’ajoute Ă  celle, tout aussi rĂ©cente, avec la femme de sa vie Rachel. À la page MTR 247 Tiffauges Ă©crit J’avais posĂ© sur ma face le masque d’innocence dont je ne me suis pas dĂ©parti depuis, mais que la rupture de Rachel, la dĂ©couverte de l’écriture sinistre et quelques autres signesFootnote 7 font curieusement trembler ». Avec son journal appelĂ© Écrits sinistres* » Tiffauges joue d’une maniĂšre Ă©vidente sur le double sens du mot sinistre, ambiguĂŻtĂ© qui est ainsi Ă  la base du roman, ou tout au moins de la premiĂšre partie du roman composĂ©e par le journal tenu par Tiffauges. L’écriture de la main gauche, donc sinistre au sens Ă©tymologique, est rĂ©servĂ©e aussi Ă  la consignation de tous les sinistres rencontrĂ©s et prĂ©tendument provoquĂ©s par Tiffauges, qui la considĂšre comme sincĂšre par opposition Ă  son Ă©criture adroite* » qui est feinteJe suis ainsi pourvu de deux Ă©critures, l’une adroite*, aimable, sociale, commerciale, reflĂ©tant le personnage masquĂ© que je feins d’ĂȘtre aux yeux de la sociĂ©tĂ©, l’autre sinistre*, dĂ©formĂ©e par toutes les gaucheries* du gĂ©nie, pleine d’éclairs et de cris, habitĂ©e en un mot par l’esprit de Nestor. MTR 216–217AmbiguĂŻtĂ© donc du mot sinistre, sur laquelle viennent se greffer des gaucheries* inhĂ©rentes au gĂ©nie. AmbiguĂŻtĂ© aussi de l’adjectif adroite l’écriture dextre, au sens propre donc de la main droite, se dĂ©finit en effet au sens figurĂ© par l’adresse imposĂ©e par l’adaptation sociale. C’est dans cette seule Ă©criture sinistre que se trouvent Ă©clairs » et cris » ou lumiĂšre » et cri » MTR 193 permettant le dĂ©chiffrement des signes. C’est encore la dĂ©couverte de cette Ă©criture de la main gauche qui marque la premiĂšre Ă©mergence du nouveau Tiffauges, qui Ă©crit [
] des choses neuves avec des mots que n’aurait pas trouvĂ©s Ă  coup sĂ»r mon Ă©criture adroiteFootnote 8» MTR 248.De quels signes s’agit-il?Quand Tiffauges parle des signes, il leur confĂšre dĂšs le dĂ©part une double expression auditive cris » ainsi que visuelle Ă©clairs », lumiĂšre ». Mais l’objectif recherchĂ© par Tiffauges avec son journal est aussi et avant tout de connaĂźtre mieux la nature des signes, recherche pour laquelle il revient Ă  son enfance dans le collĂšge Saint-Christophe avec son protecteur et alter ego Nestor dont l’esprit habit[e] [son] Ă©criture sinistre* ». Être monstrueux, gĂ©nial, fĂ©erique » MTR 205, ce Nestor ressemble Ă  Tiffauges par son caractĂšre intemporel », il Ă©chappe comme lui Ă  la mesure du temps » MTR 205. Comme Tiffauges, Nestor prĂ©sente lui aussi deux faces sa face manifeste qui se rĂ©sume Ă  la trilogie ingestion – digestion – dĂ©fĂ©cation » MTR 207 et sa face cachĂ©e » qui est dĂ©crite comme suitSa face cachĂ©e [
] c’était les signes*, le dĂ©chiffrement des signes*. C’était lĂ  la grande affaire de sa vie [
]. Les signes, le dĂ©chiffrement des signes
 De quels signes s’agissait-il? Que rĂ©vĂ©lait leur dĂ©chiffrement? Si je pouvais rĂ©pondre Ă  cette question, toute ma vie serait changĂ©e, et non seulement ma vie mais – j’ose l’écrire assurĂ© que personne ne lira jamais ces lignesFootnote 9 – le cours mĂȘme de l’histoire. Sans doute Nestor n’avait-il fait que quelques pas dans ce sens, mais ma seule ambition est prĂ©cisĂ©ment de mettre mes pieds dans sa trace [
] ». MTR 207 Quelques pages plus loin seulement, la grande affaire de la vie [de Nestor] » est devenue la sienne. Au sujet de l’interprĂ©tation d’un tableau d’un Christ giflĂ©, Tiffauges Ă©critJ’étais encore si Ă©tranger Ă  la lecture des signes – la grande affaire de ma vie – que je ne songeai pas au rapprochement qui s’imposait. Je sais aujourd’hui qu’un visage humain, aussi vil soit-il, souffletĂ©, devient aussitĂŽt la face de JĂ©sus. MTR 212Si la nature et l’interprĂ©tation des signes posent un problĂšme Ă  Tiffauges, il en est de mĂȘme pour le lecteur. À plusieurs reprises dans le roman, Tiffauges, et avec lui le lecteur, se heurte Ă  cette difficultĂ© de comprĂ©hension des signes. DĂšs la deuxiĂšme page de son journal Tiffauges Ă©crit qu’il le relit lui-mĂȘme, et l’autorĂ©flexion exprimĂ©e dans cette relecture, sa relecture, lui sert pour orienter et diriger l’interprĂ©tation de son journal par le lecteur supposĂ© et par lĂ  pour s’emparer de l’interprĂ©tation par le lecteur. Pour Mariska Koopman-Thurlings cette particularitĂ© du narrateur est une constante dans les romans de Tournier. Sa tactique consiste, non pas Ă  prĂ©senter les Ă©vĂ©nements pour que le lecteur puisse tirer ses conclusions, mais Ă  le devancer en prĂ©sentant des explications avant mĂȘme que celui-ci ait pu arriver Ă  une conclusion » 1995, pp. 161 et 191–192.Footnote 10 Margaret Sankey constate Ă  juste titre que Tiffauges est Ă  la fois auteur, lecteur et interprĂšte de ses Écrits sinistres 1991, pp. 325–340. Eeva Lehtovuori tire la mĂȘme conclusion Le travail interprĂ©tatif du lecteur de Tournier se trouve immergĂ© dans une auto-interprĂ©tation du discours lui-mĂȘme, ce qui transforme, Ă  son tour, le travail du critique en mĂ©ta-interprĂ©tation » 1995, pp. 4–5. L’analyse de David Gascoigne va dans le mĂȘme sens In his Écrits sinistres’, Abel Tiffauges cultivates and projects a certain image of himself, evolution and destiny as he sees it, and his narrative will develop a rhetoric of persuasion designed to recruite the reader into some degree of complicity with this view » 1996, p. 9. Ce procĂ©dĂ© n’est donc pas gratuit le caractĂšre d’ogre de Tiffauges se rĂ©pĂšte et se confirme encore dans cette mainmise exercĂ©e par lui sur l’interprĂ©tation des Écrits sinistres par le lecteur. Avec le passage Ă  la premiĂšre personne du pluriel dans le fragment suivant Tiffauges semble en effet vouloir s’adresser Ă  nous en tant que lecteurs de son journal et nous prendre ainsi Ă  tĂ©moin, et par lĂ  nous entraĂźner et nous impliquer dans son existencePour percer le mur de notre cĂ©citĂ© et de notre surditĂ©, il faut que les signes nous frappent Ă  coups redoublĂ©s. Pour comprendre que tout est symbole et parabole de par le monde, il ne nous manque qu’une capacitĂ© d’attention infinie. MTR 283Footnote 11Ce passage confirme Ă©galement la double forme auditive et visuelle des 12 Mais au risque d’une simplification trop poussĂ©e, nous sommes d’avis qu’une lecture approfondie du Roi des Aulnes permet Ă©galement de distinguer globalement pour le fond deux catĂ©gories de signes qui s’imposent Ă  Tiffauges. La premiĂšre comprend ceux qui sont en rapport avec son soi-disant caractĂšre exceptionnel et son prĂ©tendu pouvoir surnaturel », signes qui sont plutĂŽt d’ordre Ă©vĂ©nementiel et dont l’interprĂ©tation par Tiffauges montre sa 13 La deuxiĂšme catĂ©gorie regroupe ceux qui relĂšvent de son Ă©criture sinistre et des mots, signes d’ordre linguistique et 14 Distinction qui ne devra pas pour autant nĂ©gliger les interfĂ©rences et les interactions entre ces deux catĂ©gories. Les conclusions que nous pourrons tirer de l’analyse de ces deux types de signes nous conduiront dans un second temps Ă  l’étude de l’onomastique du roman, les noms choisis par l’auteur et mĂȘme ceux appartenant Ă  l’HistoireFootnote 15 Ă©tant autant de signes porteurs de messages Ă  ne pas signes du caractĂšre exceptionnel et du pouvoir surnaturel » de TiffaugesLe prĂ©tendu caractĂšre surnaturel de Tiffauges apparaĂźt pour la premiĂšre fois dans la scĂšne de l’incendie du collĂšge Saint-Christophe, qui coĂ»te la vie Ă  Nestor. Ayant fait une fugue auparavant, Tiffauges passe une nuit cauchemardesque craignant ĂȘtre puni Ă  son retour au collĂšge. Pour y Ă©chapper, l’image prĂ©monitoire du collĂšge en feu s’impose Ă  lui, illusion qui devient rĂ©alitĂ© le lendemain Ă  son arrivĂ©e. C’est alors que Tiffauges s’étonne et mĂȘme s’énerve que l’on ne reconnaisse pas son pouvoir naturel »Personne ne fit attention Ă  moi, et je devais faire ainsi ce jour-lĂ  la premiĂšre expĂ©rience de l’incroyable cĂ©citĂ© des autres au signe fatidique qui me distingue entre tous. Il Ă©tait donc possible d’ignorer la relation Ă©vidente, Ă©clatante qui unissait cet incendie et mon destin personnel! Ces hommes stupides qui s’apprĂȘtaient Ă  m’écraser pour une peccadille – dont j’étais de surcroĂźt innocent – ne reconnaĂźtraient jamais, quand mĂȘme je leur hurlerais la vĂ©ritĂ© en pleine face, la part que j’avais dans le chĂątiment qui venait de frapper Saint-Christophe! MTR 245 Cette mĂ©connaissance accompagne Tiffauges pendant toute sa vie en France et y dĂ©termine son comportement social, Ă  commencer par sa jeunesse Ă  la maison et au collĂšge Saint-Christophe. Une fois en Allemagne il se sent libĂ©rĂ© de cette incomprĂ©hension. La scĂšne en question est Ă©galement significative pour la façon dont Tiffauges lie et plie les Ă©vĂ©nements, historiques ou non, Ă  son destin personnel il considĂšre que l’incendie est une nĂ©cessitĂ© pour le sauvegarder de la punition. DĂšs la premiĂšre page des Écrits sinistres cette conviction est annoncĂ©e Je crois, oui, Ă  ma nature fĂ©erique, je veux dire Ă  cette connivence secrĂšte qui mĂȘle en profondeur mon aventure personnelle au cours des choses, et lui permet de l’incliner dans son sens » MTR 291. De la mĂȘme maniĂšre mais dans un autre ordre de grandeur, l’éclatement de la Seconde Guerre mondiale aura lieu, dans l’optique de Tiffauges, pour le sauver de la 16 Vladimir Tumanov rĂ©sume cette vision des Ă©vĂ©nements par Tiffauges comme suit Tiffauges is convinced that the world revolves around him and therefore views various events as signs that concern him alone » et [
] however marginalized he may feel in society, Tiffauges, as ogre, affects the course of the world’s events [
], and it is [the] mythologization of his own marginality that gives Tiffauges the idea that he is at the center of everything » 1999. La marginalitĂ© de Tiffauges se trouve ainsi compensĂ©e par son prĂ©tendu gĂ©nie Nestor est mort par le feu, il renaĂźt dans la personne de Tiffauges qui ainsi reprend la grande affaire de sa vie » MTR 208, renaissance qui fait penser au mythe du phĂ©nix resurgissant de ses cendres. Cette scĂšne de la mort de Nestor asphyxiĂ© prĂšs de la chaudiĂšre de l’internat semble annoncer les pages sur cet autre espace clos racontĂ©es par ÉphraĂŻm Ă  la fin du roman, celui du camp d’extermination oĂč les Juifs sont gazĂ©s. Le remplacement de Nestor par Tiffauges se situe au niveau physique et mental rachitique pendant son enfance, Tiffauges devient aussi gros et vorace que Nestor avant de mourir et le dĂ©veloppement intellectuel de Nestor est transmis Ă  Tiffauges qui Ă©tait nul pendant sa scolaritĂ© voir MTR 248. Mais l’élĂ©ment le plus Ă©vident pour cette relĂšve est bien sĂ»r l’écriture de la main gauche de Nestor MTR 216 reprise par Tiffauges dans ses Écrits se prĂ©tend environnĂ© de signes et d’éclairs » MTR 246 et c’est dans le contexte de tous les signes qui pouvaient apparaĂźtre » MTR 248 que Tiffauges adulte se compare implicitement Ă  Cagliostro et Raspoutine, deux figures historiques Ă©nigmatiques et mythiques qui sont entrĂ©es dans la lĂ©gende par leurs prĂ©tendus pouvoirs surnaturels. Tiffauges se dit porteur d’une force tĂ©nĂ©breuse » mais avoue encore son impuissance Ă  la cerner Moi-mĂȘme j’ai peine Ă  concevoir ce secret de mon destin » MTR 259.Dans la deuxiĂšme partie du roman Tiffauges passe la main Ă  un narrateur omniprĂ©sent. Avec une apparente objectivitĂ©Footnote 17 celui-ci confirme textuellement les difficultĂ©s de Tiffauges Ă  traiter les signes, bien qu’il s’agisse de signes d’un autre niveauEn janvier 1940, son incapacitĂ© Ă  maĂźtriser des signes conventionnels, abstraits, futiles, sans charge fatale, fut sanctionnĂ©e par son Ă©chec Ă  l’examen de caporal, et ce fut comme soldat de deuxiĂšme classe qu’il fut envoyĂ© Ă  Erstein [
]. MTR 310 Contraste bien dur lui qui se voit Ă  l’origine des grands Ă©vĂ©nements dans le monde reste au plus bas dans la hiĂ©rarchie militaire française, prĂ©cisĂ©ment Ă  cause de son impuissance Ă  interprĂ©ter les signes
 Mais il convient bien de se rendre compte que les qualificatifs conventionnels, abstraits, futiles, sans charge fatale » dĂ©signent des signes de qualitĂ© infĂ©rieure, Ă©trangers aux signes d’ordre supĂ©rieur auxquels semble ĂȘtre destinĂ© 18 La supĂ©rioritĂ© de ces signes se dĂ©finit par leur union avec la chairTiffauges [Ă©tait] [
] ancr[Ă©] peu Ă  peu dans l’idĂ©e que la guerre n’était qu’un affrontement de chiffres et de signes, une pure mĂȘlĂ©e audio-visuelle sans autre risque que des obscuritĂ©s ou des erreurs d’interprĂ©tation. Personne n’était mieux prĂ©parĂ© apparemment que lui Ă  ces problĂšmes de rĂ©ception, de dĂ©chiffrement et d’émission. Pourtant ils lui demeuraient Ă©trangers, car, dĂ©pourvus de l’élĂ©ment vivant, chaleureux et sanguin qui Ă©tait pour lui comme la signature de l’ĂȘtre, ils flottaient dans une sphĂšre abstraite, contemplative et gratuite. Il attendait avec confiance et patience cette union du signe et de la chair qui Ă©tait pour lui la fin derniĂšre des choses, et singuliĂšrement de cette guerre. Elle devait lui ĂȘtre offerte quelques semaines plus tard, sous une forme certes dĂ©risoire, mais non moins annonciatrice d’accomplissements ultĂ©rieurs MTR 312. Cette union du signe et de la chair a Ă©tĂ© signalĂ©e aussi dans le journal de Tiffauges, qui Ă©crit les signes ont besoin de la chair pour se manifester* » MTR 280. Elle ne saurait surprendre dans ce rĂ©cit d’ogre oĂč le rĂŽle de la chair est Ă©vident et pertinent. La forme dĂ©risoire » dont il est question dans ce fragment est celle des pigeons des messagers fidĂšles, des porte-signes vivants et palpants » MTR 325 appelĂ©s encore petits porte-signes » quelques pages plus loin MTR 327. Les pigeons dont s’occupe Tiffauges symbolisent cette union du signe et de la chair ils sont signes en chair et en os. Notons enfin que les signes colombins sont Ă©crits. Dans son PriĂšre d’insĂ©rer de l’Édition originale » Tournier insiste sur ce rapport indissociable entre le signe et la chairDeux passions Ă©clairent et rĂ©chauffent [l]a solitude [de Tiffauges] la dĂ©tection des symboles dont il devine la prĂ©sence autour de lui, et le goĂ»t de la chair 19 Ce qui vaut pour les signes comme indications et preuves du caractĂšre surnaturel de Tiffauges, s’applique Ă©galement aux notions tiffaugĂ©ennes de symbole et d’allĂ©gorie. Ainsi il donne Ă  ses difficultĂ©s respiratoires, ennuis physiques appelĂ©s par lui oppression angĂ©lique*, ou plus briĂšvement angĂ©lique* », une signification fondamentale », issue d’une relation de symbole Ă  chose symbolisĂ©e »GrĂące Ă  [cette signification fondamentale], mes poumons sont passĂ©s de la nuit glandulaire Ă  la pĂ©nombre viscĂ©rale, voire, dans les cas extrĂȘmes, Ă  la grande lumiĂšre de la conscience. Ces cas extrĂȘmes, ce sont la grande angoisse dyspnĂ©ique qui me fait lutter sur le sol contre une Ă©treinte invisible et meurtriĂšre, mais aussi la profonde et bienheureuse aspiration par laquelle le ciel tout entier plein de vols d’hirondelles et d’accords de harpeFootnote 20 plonge directement dans mes poumons sa racine bifurquĂ©e. MTR 253 Une fois arrivĂ© en Allemagne, Tiffauges est toujours aussi voire encore plus attentif aux signes MTR 356 cette terre lui inspire la sublimation de cette conscience fondamentale ». Il se dit que ce pays donne une tournure positive Ă  son pouvoir surnaturel, lĂ  oĂč il Ă©tait restĂ© dans les tĂ©nĂšbres avant[P]our Tiffauges dont le ciel cloutĂ© d’allĂ©gories et d’hiĂ©roglyphes retentissait sans cesse de voix indistinctes et de cris Ă©nigmatiques, l’Allemagne se dĂ©voilait comme une terre promise, comme le pays des essences pures*. MTR 350Footnote 21 RejetĂ© par la FranceFootnote 22 oĂč se trouvaient concentrĂ©s tous ses malheurs, tout son malaise et toute sa mĂ©connaissance, Tiffauges, en utilisant le terme de promise », confĂšre ainsi une dimension biblique Ă  cette terre rĂ©vĂ©latrice qui lui a Ă©tĂ© donnĂ©[e] par le destin » MTR 350 et qu’il se donne pour tĂąche d’interprĂ©ter et d’ Ă©lev[er] Ă  une puissance supĂ©rieure »Et voici qu’il avait la rĂ©vĂ©lation que la Prusse-Orientale tout entiĂšre Ă©tait une constellation d’allĂ©gories, et qu’il lui appartenait de se glisser en chacune d’elles [
]. Car il n’avait pas seulement vocation de dĂ©chiffrer les essences, mais aussi de les exalter, de porter toutes leurs vertus Ă  incandescence. Il allait livrer cette terre Ă  une interprĂ©tation tiffaugĂ©enne, et en mĂȘme temps, il l’élĂšverait Ă  une puissance supĂ©rieure, encore jamais atteinte. MTR 351 Tiffauges va mĂȘme jusqu’à creuser farouchement et fouiller littĂ©ralement la terre de ce pays prometteur, dont il attendait quelque chose* », un signe, un prĂ©sage, il ne savait au juste », Ă©tant toujours persuadĂ© que ce message dĂ©livrĂ© par cette terre Ă©tait Ă  lui seul destinĂ© » MTR 338.Footnote 23 Force est cependant de constater que la place exceptionnelle dans ce monde en pleine Ă©bullition que croit occuper Tiffauges et le caractĂšre surnaturel qu’il dĂ©sire se confĂ©rer ne lui permettent d’interprĂ©ter que difficilement et imparfaitement tous ces signes. La myopie,Footnote 24 la vue courte dont souffre Tiffauges sur le plan physique, se double en effet d’un manque de perspicacitĂ© au niveau mental. MalgrĂ© l’intimitĂ© et la confidentialitĂ©Footnote 25 des Ă©changes avec le comte de Kaltenborn, l’explication des symboles donnĂ©e par celui-ci ne semble pas Ă©clairer Tiffauges dans sa recherche de l’interprĂ©tation des signes. Pourtant le Kommandeur* » a parfaitement compris la nature et les intĂ©rĂȘts de Tiffauges, qu’il appelle un lecteur de signes » et un homme marquĂ© par le destin ». Si les propos tenus par Herbert von Kaltenborn recoupent mĂȘme parfois textuellement les Ă©crits de Tiffauges [t]out est dans les symboles » MTR 460, ils font preuve aussi d’une volontĂ© et d’une disponibilitĂ© de faire avancer et d’instruire TiffaugesJusqu’ici vous avez dĂ©couvert des signes sur les choses, comme les lettres et les chiffres qu’on lit sur une borne. Ce n’est que la forme faible de l’existence symbolique. Mais n’allez pas croire que les signes soient toujours d’inoffensives et faibles abstractions. Les signes sont forts, Tiffauges, ce sont eux qui vous ont amenĂ© ici. Les signes sont irritables. Le symbole bafouĂ© devient 26 MTR 460 En Ă©voquant l’Apocalypse de Saint Jean, le Kommandeur apprend Ă  Tiffauges que la fin du monde approche Et tout cela = les scĂšnes dĂ©crites dans l’Apocalypse est symbole, tout cela est chiffre,Footnote 27 indiscutablement. Mais ne cherchez pas Ă  comprendre, c’est-Ă -dire Ă  trouver pour chaque signe la chose Ă  laquelle il renvoie. Car ces symboles sont diaboles ils ne symbolisent plus rien. Et de leur saturation naĂźt la fin du monde. MTR 461 Vous aimez la Prusse, monsieur Tiffauges, parce que sous la lumiĂšre hyperborĂ©enne, dites-vous, les signes brillent d’un Ă©clat incomparable. Mais vous ne voyez pas encore oĂč mĂšne cette prolifĂ©ration redoutable de symboles. Dans le ciel saturĂ© de figures se prĂ©pare un orage qui aura la violence d’une apocalypse, et qui nous engloutira tous ! ». MTR 463 Jonathan Krell a analysĂ© ce concept de diabole ». Pour lui, [u]n diabole est l’inversion maligne d’un symbole. Le propre d’un symbole est sa polysĂ©mie il possĂšde Ă  un premier niveau un sens manifeste, et Ă  un second niveau des sens latents, cachĂ©s. [
] Le diabole est le symbole vidĂ© de son sens cachĂ©, un symbolisant sans symbolisĂ© ».Footnote 28 Tiffauges donne l’impression de ne rien comprendre de ce discours du comte de Kaltenborn, il n’en tire aucune leçon, dans l’immĂ©diat du moins. Pour qu’il le fasse enfin, il lui faudra la rencontre avec un enfant, enfant victime prĂ©cisĂ©ment de cette Allemagne nazie maligne et destructive. C’est en effet seulement vers la fin du roman que Tiffauges y voit plus clair en Ă©coutant de toutes ses oreilles » MTR 505 EphraĂŻm, qui lui ouvre les yeux de ses lumiĂšres. Ainsi ce ne sont pas les adultes, mais trois enfants qui dĂ©terminent la vie et la mort de Tiffauges aprĂšs Nestor au dĂ©but du roman, c’est Martine, la fillette qui prĂ©tend avoir Ă©tĂ© violĂ©e par Tiffauges. Vu la sincĂ©ritĂ© manifeste de Nestor et d’ÉphraĂŻm ainsi que la franchise gĂ©nĂ©rale attribuĂ©e aux enfants dans l’Ɠuvre de Tournier, on serait tentĂ© de reconnaĂźtre la vĂ©racitĂ© de l’accusation de Martine et donc de conclure Ă  la culpabilitĂ© de Tiffauges dans cette affaire du viol oĂč plane toujours le doute. En tout cas, la mystification et par lĂ  la manipulation du lecteur par Tiffauges narrateur bat son plein dans cet Ă©pisode. C’est en effet EphraĂŻm, [L’]enfant Porte-Étoile » MTR 504, qui lui rĂ©vĂšle, seulement Ă  la fin du roman, dans un yiddish mĂȘlĂ© de mots hĂ©breux, lituaniens et polonais » les horreurs des camps de concentration, monde souterrain sans rapports – autres qu’accidentels – avec le monde superficiel des vivants situĂ© » sous cette Allemagne, tout entiĂšre exaltĂ©e et polarisĂ©e par la guerre » MTR 505. Il est Ă  noter que l’attrait du nazisme reposait pour une trĂšs grande partie sur l’emploi voire l’exploitation des symboles que ses dirigeants puisaient de prĂ©fĂ©rence dans l’histoire, la tradition, la lĂ©gende, le rite et la cĂ©rĂ©monie. Avec sa thĂ©orie sur l’antiquitĂ© vertigineuse de [s]es origines » MTR 191 et ses pratiques et habitudes rituelles particuliĂšres, du brame par exemple, Tiffauges s’inscrit directement dans cette mĂȘme monde de Tiffauges s’écroule [en voyant] s’édifier un univers qui reflĂ©tait le sien avec une fidĂ©litĂ© effrayante et qui en inversait tous les signes » MTR 505. C’est ainsi que le thĂšme des signes rejoint celui de l’inversion, qui est tout aussi rĂ©current dans le roman. Cette description de la double face de l’Allemagne s’apparente Ă  celle utilisĂ©e Ă  plusieurs reprises par Tiffauges pour dĂ©finir la photographie. L’opposition entre le noir et le blanc, entre le nĂ©gatif et le positif, l’un Ă©tant le reflet inversĂ© de l’autre, parcourt tout le roman sinon toute l’Ɠuvre de 29 L’univers de Tiffauges se dĂ©finit aussi par le nĂ©gatif, par ce qu’il n’est pas, univers glacial, noir et boueux oĂč Tiffauges s’enfonce au sens figurĂ© et littĂ©ralement, portant ÉphraĂŻm sur ses Ă©paules. C’est l’échec de [l’]inversion bĂ©nigne [qui] consiste Ă  retourner le sens des valeurs que l’inversion maligne a prĂ©cĂ©demment retournĂ© » MTR 257. La myopie de Tiffauges qui lui a interdit pendant toute sa vie de comprendre les signes et les symboles se rĂ©sout dans le rĂ©cit des expĂ©riences d’ÉphraĂŻmAbreuvĂ© d’horreur, Tiffauges voyait ainsi s’édifier impitoyablement, Ă  travers les longues confessions d’ÉphraĂŻm, une CitĂ© infernale qui rĂ©pondait pierre par pierre Ă  la CitĂ© phorique dont il avait rĂȘvĂ© Ă  Kaltenborn. Le Canada, le tissage des cheveux, les appels, les chiens dobermans, les recherches sur la gĂ©mellitĂ© et les densitĂ©s atmosphĂ©riques, et surtout, surtout les fausses salles de douche, toutes ses inventions, toutes ses dĂ©couvertes se reflĂ©taient dans l’horrible miroir, inversĂ©es et portĂ©es Ă  une incandescence d’enfer. Il lui restait encore Ă  apprendre que les deux peuples sur lesquels s’acharnaient les et dont ils poursuivaient l’extinction, Ă©taient les peuples juif et gitan. Ainsi, il retrouvait ici poussĂ©e Ă  son paroxysme la haine millĂ©naire des races sĂ©dentaires contre les races nomades. Juifs et gitans, peuples errants, fils d’Abel, ces frĂšres dont il se sentait solidaire par le cƓur et par l’ñme, tombaient en masse Ă  Auschwitz sous les coups d’un CaĂŻn bottĂ©, casquĂ© et scientifiquement organisĂ©. La dĂ©duction tiffaugĂ©enne des camps de la mort Ă©tait achevĂ©e. MTR 509Les signes Ă©vĂ©nementiels » et leur interprĂ©tation aboutissent ainsi Ă  la dĂ©sillusion, la dĂ©sorientationFootnote 30 totale et Ă  l’apocalypse. Nous verrons que les signes Ă©crits vont dans le mĂȘme sens, tout en ouvrant la voie Ă  une interprĂ©tation qui double sinon dĂ©passe celle qui s’impose Ă  premiĂšre autant de signes Ă  interprĂ©terIl est difficile de dĂ©terminer la nature des hiĂ©roglyphes qui se prĂ©sentent Ă  Tiffauges Ă  trois reprises, deux fois dans son journal MTR 193 et 274 et une fois dans la partie III du roman MTR 350. C’est le deuxiĂšme fragment qui paraĂźt le plus intĂ©ressant quant aux rĂ©flexions livrĂ©es par Tiffauges. Muni de son appareil photo, il observe les enfants qui jouent dans la cour de rĂ©crĂ©ation du collĂšge Sainte-Croix, Ă  travers la grille. Il constate et rĂ©pĂšte que[
] tout est signe ici, comme ailleurs, davantage qu’ailleurs. Mais signe de quoi ? C’est mon Ă©ternelle question dans ce monde semĂ© d’hiĂ©roglyphes dont je n’ai pas la clĂ©. MTR 274 Ces hiĂ©roglyphes » sont consignĂ©s par Tiffauges qui les prend en photo pour les Ă©tudier et analyser tranquillement chez lui plus tard, et ce toujours dans le mĂȘme objectif d’y dĂ©couvr[ir] quelque chose » MTR 274. Toute cette scĂšne est remplie de comparaisons. Ainsi les grilles de la cour sont comparĂ©es Ă  celles d’une cage et la rafale de photos » des enfants Ă  laquelle se livre Tiffauges est mise en rapport avec des balles tirĂ©es sur des bĂȘtes par un 31 Le caractĂšre d’ogre est Ă©voquĂ© explicitement ici sous la plume de TiffaugesMettre des enfants en cage
 Mon Ăąme ogresse y trouverait son compte. Mais il y a autre chose qui va plus loin qu’un simple jeu de mots. Toute grille est grille de dĂ©chiffrement, il n’est que de savoir l’appliquer. MTR 274L’immobilisation des hiĂ©roglyphes » au moyen de la photographieFootnote 32 ne se compare-t-elle pas Ă  la consignation des Ă©vĂ©nements par l’écriture? Appareil photo ou plume, tous deux ne servent-ils pas Ă  essayer de surmonter la myopie et d’y voir plus clair? Pour Tiffauges, mais aussi, indirectement, pour son » lecteur ! Et tout comme la pellicule sensible est indispensable Ă  la photographie, le papier ou la page blanche l’est Ă  l’écriture. C’est au sujet des jeux dans cette autre cour de rĂ©crĂ©ation, celle du collĂšge Saint-Christophe, que Tiffauges cite Nestor Une cour de rĂ©crĂ©ation, dit-il = Nestor, c’est un espace clos qui laisse assez de jeu pour autoriser les jeux. Ce jeu est la page blanche oĂč les jeux viennent s’inscrire comme autant de signes qui restent Ă  dĂ©chiffrer. Mais la densitĂ© de l’atmosphĂšre est inversement proportionnelle Ă  l’espace qui l’enferme. Il faudrait voir ce qui se passerait si les murs se rapprochaient. Alors l’écriture se resserrerait. En serait-elle plus lisible? À la limite on assisterait Ă  des phĂ©nomĂšnes de condensation. Quelle condensation? Peut-ĂȘtre l’aquarium,Footnote 33 et mieux encore les dortoirs, pourraient-ils fournir une rĂ©ponse ». MTR 229 Ce passage est Ă  rapprocher d’un autre fragment du journal consacrĂ© Ă  la vie du dortoir, encore un espace clos du collĂšge Saint-Christophe. Tiffauges cite alors Nestor, qui, encore, se parl[e] volontiers Ă  lui-mĂȘme » — Ici, disait-il, la concentration est extrĂȘme. Le jeu est rĂ©duit autant qu’il se peut. Le mouvement s’est figĂ© en des attitudes qui varient certes, mais avec une lenteur infinie. N’importe, ce sont lĂ  autant de figures qu’il faudrait lire. Il doit y avoir un signe absolu alpha-omĂ©ga. Mais oĂč le trouver ? » MTR 239. DensitĂ© », resserrer », condensation », concentration », rĂ©duire », tous ces termes convergent, dans le sens qui pourrait bien ĂȘtre celui de l’auteur Ă  la recherche de la clef universelle et existentielle pour exprimer sa pensĂ©e en la couchant sur papier. C’est aussi en Ă©voquant le legs de Nestor que Tiffauges tĂ©moigne de ce rapport indissociable entre papier et Ă©criture en regard[ant] [s]a main courir sur le papier, [s]a main gauche tracer les lettres successives de cet Ă©crit sinistre »Footnote 34 MTR 216. À son arrivĂ©e Ă  la napolaFootnote 35 de Kaltenborn, Tiffauges est confrontĂ© Ă  une variante de ce support du papier Ă  l’écriture, Ă  savoir les murs [qui] parlaient et criaient en devises et en aphorismes, chantaient en drapeaux et oriflammes, comme si ce fĂ»t Ă  eux seuls que fĂ»t dĂ©volue la facultĂ© de penser » MTR 403.Dans ce mĂȘme registre s’inscrit le curieux fragment oĂč il est question d’un homme qui se met en tĂȘte d’incendierFootnote 36 des lieux publics afin de dĂ©truire tous les dossiers personnels et officiels. Dans cette anecdote appelĂ©e apologue » par Tiffauges MTR 223, fable qui se prĂ©sente cependant comme un conteFootnote 37 car il commence par Il Ă©tait une fois [
] », les hommes privĂ©s de leurs papiers se mĂ©tamorphos[ent] en bĂȘtes » MTR 223. Cette privation de papiers d’identitĂ© qui dĂ©shumanise peut se lire comme une mĂ©taphore l’homme a besoin de papier afin d’exister, comme l’écrivain a besoin de papier pour Ă©crire et le lecteur pour lire parce que l’ñme humaine est en papier* » MTR 223.Footnote 38À la vĂ©ritĂ©, la terminologie utilisĂ©e dans le roman pour comprendre et interprĂ©ter les signes, Ă©crits ou autres, est souvent basĂ©e sur l’écriture, mais aussi sur son complĂ©ment, la lecture. Ainsi Tiffauges, dans lequel le comte de Kaltenborn dit avoir reconnu un lecteur de signes » MTR 460, Ă©crit dans son journal qu’il a repris dans la partie V du roman[
] je me trouve ici = en Allemagne constamment confrontĂ© Ă  une rĂ©alitĂ© signifiante* presque toujours claire et distincte, ou alors quand elle devient difficile Ă  lire, c’est qu’elle s’approfondit et gagne en richesse ce qu’elle perd en Ă©vidence. MTR 421. Nous sommes d’avis que cette rĂ©flexion s’applique Ă  tout le roman, qui lui aussi est clair et distinct » ou encore Ă©viden[t] » par endroits, mais qui prĂ©sente Ă©galement des Ă©lĂ©ments moins limpides et moins explicites qui n’en sont que plus profonds et plus riches. C’est en rĂ©pondant Ă  cet appel de double voire multiple lecture que nous analyserons l’onomastique dans le roman, les noms propres prĂ©sentant des signes Ă©vidents et moins Ă©vidents Ă  interprĂ©ter et Ă  intĂ©grer dans la comprĂ©hension globale du Je m’avance masquĂ© Tournier exprime Ă  plusieurs reprises l’importance des noms propres et de leur signification pour lui. D’abord au sujet des pseudonymes et des noms juifs Oui, j’ai pensĂ© Ă  un pseudonyme en inversant mon nom et en supprimant le u. Cela donnait Edward Reinrot, un nom juif allemand qui signifie rouge pur ».Footnote 39 [Les juifs] ont pris les meilleurs noms Gut, Reich, Blum, Rose, Freud, Stein, Gold. Les juifs ont des noms extraordinaires. Gutmann l’homme du bien. Pas mal !Footnote 40 Il montre aussi son Ă©merveillement devant la beautĂ© des noms et sa conscience de l’influence qui en dĂ©pendIl y a des gens qui n’auraient pu faire la carriĂšre qu’ils ont faite s’ils avaient conservĂ© leur nom. Pensez Ă  Fred Astaire. Jamais il n’aurait pu mener sa carriĂšre [
] s’il Ă©tait restĂ© Frederick Austerlitz. [
] Et le Caravage, un nom merveilleux! Que ne donnerais-je pour le porter! [
] C’est autre chose que Tournier !Footnote 41Le prĂ©nom de Goethe et de Mozart, Wolfgang, m’a toujours intriguĂ©. J’ai dĂ©couvert qu’il signifie le pas du loup ». Or nous allions aux Concerts Pasdeloup, du nom de son chef, qui Ă©tait la traduction française du prĂ©nom de Mozart !Footnote 42Le nombre de noms propres dans Le Roi des Aulnes est Ă©levĂ© et se compose de prĂ©noms, patronymes, surnoms et noms gĂ©ographiques. David BevanFootnote 43 associe le dĂ©chiffrement de certains mots et noms dans l’Ɠuvre de Tournier au sens de l’humour de celui-ci Un clin d’Ɠil comique n’est jamais trĂšs loin chez un auteur qui est naturellement dĂ©bordant d’humour. Mais combien subtils et fugitifs parfois sont certains mots’ qu’il faut essayer de saisir au vol ». Il convient de reconnaĂźtre que certains noms tourniĂ©riens sont bien Ă©loquents Abel Tiffauges, Alexandre Surin, RaphaĂ«l Bidoche, Logre, Tupik,Footnote 44 Lucien Gagneron,Footnote 45 Thomas Koussek, VĂ©ronique,Footnote 46 Étienne Milan,Footnote 47 FrĂ©dĂ©ric DurĂąteau, Tristan Vox,Footnote 48 Henri Durieu,Footnote 49 etc., montrant ainsi la nette prĂ©dilection de Tournier pour des noms forgĂ©s et porteurs de sens. Jean-Luc MerciĂ© indique [qu’]il semble que Tournier ait empruntĂ© deux procĂ©dĂ©s Ă  Flaubert le jeu onomastique et la mise en scĂšne d’expressions lexicalisĂ©es ». Pour MerciĂ© [l]e nom propre, sĂ©mantiquement surchargĂ©, est Ă  double, voire Ă  triple entente » 1991, pp. 252–254. Thierry Miguet prĂ©sente quelques exemples assez surprenants de l’onomastique tourniĂ©rienne qui porte sur le A et le O inspirĂ©s par l’Alpha et l’OmĂ©ga 1991, pp. 179–182. Dans cette mĂȘme optique Jean-Bernard Vray consacre un chapitre fort intĂ©ressant Ă  la multiple prĂ©sence de la combinaison des lettres O et R dans l’Ɠuvre de Tournier 1997, pp. 385–389.Comme plusieurs autres critiques, Liesbeth Korthals Altes a signalĂ© cette propension de Tournier pour les jeux de mots, dont fait partie bien entendu le jeu onomastique 1992, p. 155. Pour notre part l’exemple le plus caractĂ©ristique et le plus Ă©vident de ce penchant de Tournier dans Le Roi des Aulnes est le jeu de mots sur les forts* et les phores* des Halles. Ce jeu de mots est encore doublĂ© par un jeu sur le jugement de valeur orthographique Le fort est la forme vulgaire du phore », comme si l’écriture avec ph » Ă©tait donc la forme plus noble MTR 264. L’auteur Ă©puise toutes les expressions possibles se rapportant Ă  la phorie, thĂšme principal du roman euphorie, paraphorie, superphorie, astrophorie. Sans compter les innombrables apparitions de combinaisons avec le verbe 50 L’euphorie ressentie et exprimĂ©e par Tiffauges quand il porte un enfant est un jeu de mots qui sous-tend tout le roman cette expression est Ă  prendre littĂ©ralement, avec tous les enfants portĂ©s par Tiffauges dans le roman, Ă  commencer par son aide garagiste Jeannot MTR 261.Footnote 51 Mais elle doit ĂȘtre comprise aussi dans le sens de la femme qui porte, en elle, un enfant pendant sa grossesse, le cĂŽtĂ© maternel de Tiffauges Ă©tant ainsi suggĂ©rĂ© par l’ambiguĂŻtĂ© du jeu de 52Tournier affirme son amour du calembour [
] je crois en la profondeur voilĂ©e d’ironie du calembour. Sahara – Canada. Ces deux mots de six lettres dont trois a placĂ©s aux mĂȘmes points sont d’une saisissante analogie » 1977, p. 52.Footnote 53 Platten 1999b, p. X, prĂ©face relĂšve lui aussi le goĂ»t de Tournier pour le jeu de mots, leurs effets et utilitĂ©Footnote 54[
] the pun is eulogized because it brings to the fore two different meanings at the same time and not because its casts doubt on one or both of the meanings expressed or on the integrity of language as a vehicle of communication. The pun is thus seen as a figure which amplifies knowledge rather than fractures s’appuyant sur BouloumiĂ© 1988, pp. 73–81,Footnote 55 Korthals Altes 1992, p. 155 Ă©voque le rapport entre le calembour et la fugue, dont la structure est sous-jacente Ă  la composition du Roi des Aulnes, comme Ă  celle des mythes. Dans ce contexte elle cite Claude LĂ©vi-Strauss, qui compare musique et mythe pour constater que, comme la fugue notamment, les mythes se composent [d]’images qui s’inversent de positives en nĂ©gatives, se retournent de droite Ă  gauche ou de haut en bas ; transformations qui rappellent le mĂ©canisme du calembour [et dont la] seule limite [est] ce qu’[
] on pourrait appeler l[eur] capacitĂ© anagrammatique’ » 1971, p. 581.Footnote 56 Tournier souligne lui-mĂȘme son admiration sans limite de l’Art de la fugue de Jean-SĂ©bastien Bach, qu’il dĂ©clare [l’]Ɠuvre musicale la plus riche, la plus rigoureuse, la plus touchante qui fut jamais conçue de tĂȘte humaine et rĂ©alisĂ©e de main humaine, l’idĂ©al insurpassable de toute crĂ©ation [
] »Footnote 57 2017, MTR 1399. Qui plus est, il rappelle le jeu anagrammatique auquel s’est livrĂ© Bach au niveau des lettres de son nom et de l’annotation de sa composition BWV 1080, rĂ©alisant ainsi par sa signature musicale une fusion totale entre patronyme et crĂ©ation Fig. 1. En d’autres termes, anagrammatiquement le nom de Bach et le thĂšme de sa musique sont indissociables, de maniĂšre intrinsĂšque bien entendu Dans la onziĂšme fugue nous sommes avertis de l’approche du dĂ©nouement par l’apparition d’un thĂšme dont les notes si bĂ©mol, la, do, si bĂ©carre correspondent selon la notation allemande aux quatre lettres du nom BACH. Le dĂ©nouement en effet, car l’homme vient d’ĂȘtre dĂ©vorĂ© par son Ɠuvre, et cet ultime sacrifice ne peut ĂȘtre dĂ©passĂ©. Le thĂšme BACH est repris en contre-sujet dans la quinziĂšme fugue, inachevĂ©e celle-lĂ , dont le manuscrit porte ces mots Ă©crits de la main de Carl-Philippe-Emanuel Bach Le compositeur a Ă©tĂ© trouvĂ© mort sur cette fugue oĂč le nom de BACH apparaĂźt en contre-sujet*. Le Vent Paraclet, MTR 1400Fig. 1Wikimedia CommonsLe motif size image L’émerveillement de Tournier devant la structuration de l’Ɠuvre musicale de Bach et le mĂ©canisme anagrammatique de celui-ci pour y confondre son patronyme en dit long sur sa conception de l’onomastique significative. Petit 1986, pp. 232–233 avance l’hypothĂšse de la structuration du Roi des Aulnes sur ce mĂȘme principe de la fugue oĂč se reconnaĂźtraient successivement les huit thĂšmesFootnote 58 du roman, chacun commençant par les lettres formant le nom de TOURNIERTiffauges Ogre Unhold Rominten Napola Inversion EphraĂŻm Roi des AulnesFootnote 59L’intĂ©rĂȘt de Tournier pour l’étymologie de l’onomastique est Ă©tabli et confirmĂ© par la plupart des tourniĂ©rologues. Voici un rapide aperçu de leurs recherches et quelques conclusions fort intĂ©ressantes qu’ils ont pu en Gascoigne de son cĂŽtĂ© se livre Ă©galement Ă  une analyse de plusieurs romans de Tournier oĂč apparaĂźt son prĂ©nom Michel 1996, pp. 207–213.Footnote 60 BouloumiĂ© 1988, pp. 41–54 consacre un chapitre Mythe et Nom » trĂšs intĂ©ressant Ă  ce qu’elle appelle l’art de nommer les personnages ». Elle constate que Tournier a une approche biblique » de l’onomastiquePour Michel Tournier, grand lecteur de la Bible, nommer, c’est appeler Ă  l’existence. Le nom est essence, principe d’existence, il engendre l’ĂȘtre ou l’objet qu’il dĂ©signe. [
] Michel Tournier redonne au nom sa dimension sacrĂ©e. BouloumiĂ© souligne le rĂŽle de l’étymologieFootnote 61 qui peut rĂ©soudre le caractĂšre arbitraire entre le nom et la personne, comme si le nom pouvait fonder un sens ». D’autre part elle avance le procĂ©dĂ© de la rĂ©miniscence,Footnote 62 le nom actualis[ant] un souvenir ». BouloumiĂ© donne les noms de Tiffauges et de Barbe-Bleu comme exemples de cette rĂ©miniscence, clin[s] d’Ɠil au lecteur averti » 1988, p. 44. En d’autres termes, en exploitant ces deux principes Tournier s’efforce d’établir une relation de comprĂ©hension et de reconnaissance entre les noms et les personnes il attribue [au nom] la tĂąche d’exprimer l’essence d’un personnage qu’il identifie » 1988, p. 54.Ce principe de l’onomastique est Ă©galement signalĂ© par Mariska Koopman-Thurlings, qui utilise le terme d’ emblĂ©matique » pour caractĂ©riser le choix des noms par Tournier, qui ainsi renoue avec l’ancienne tradition littĂ©raire » 1995, p. 201. Sa rĂ©flexion sur le nom de Tiffauges est trop intĂ©ressante pour ne pas la citer in extenso[
] Tiffauges [
] connaĂźt la double articulation du rĂ©el et de l’irrĂ©el. Il appartient au monde de la rĂ©alitĂ© par sa profession de garagiste et ses occupations quotidiennes, mais il s’inscrit dans un rĂ©seau lĂ©gendaire par son nom ambigu, qui rĂ©unit la vocation de victime aussi bien que celle de bourreau. Le nom d’Abel rĂ©fĂšre Ă  la victime du fratricide primordial, et le nom de Tiffauges Ă©voque le personnage de Gilles de Rais, qui auraitFootnote 63 violĂ© et tuĂ© de nombreux enfants. 1965, p. 202Pour Redfern [w]ordplay serves both mystification and myth-making or, more strictly remaking » 1985, pp. 304–319. Il constate que beaucoup de mythes sont fondĂ©s sur un jeu Ă©tymologique, notamment avec des noms. Cependant, l’étymologie ne se limite pas Ă  la seule onomastique, elle est Ă  la base du jeu de mots en gĂ©nĂ©ral chez Tournier, pour qui l’approche de l’absolu se signale par le rire » MTR 1415.Footnote 64Ce qui frappe, c’est que Tiffauges ou le narrateur explique parfois les noms dans le dĂ©tail et parfois non. Il est donc question dans le roman de noms clair[s] et distinct[s] » MTR 421, relevĂ©s souvent aussi aisĂ©ment par la critique, qu’il convient de rappeler ici non pas tant par souci d’intĂ©gralitĂ© que par la constatation que le dernier mot n’a pas Ă©tĂ© dit sur certains de ces noms Ă©vidents ». Et il y a donc aussi des noms difficile[s] Ă  lire », noms qui sont autrement plus intĂ©ressants car ils font approfondi[r] et gagne[r] en richesse » le roman, pour reprendre la parole de Tiffauges MTR 421.De l’onomastique explicitĂ©e ou plutĂŽt Ă©vidente vers les noms difficiles Ă  lire » DĂšs la deuxiĂšme page du roman le protagoniste se prĂ©sente Je m’appelle Abel Tiffauges, je tiens un garage place de la Porte-des-Ternes [
] » MTR 192. L’origine du prĂ©nom Abel,Footnote 65 dont le caractĂšre de nomade est expliquĂ© par le protagoniste lui-mĂȘme, lui va Ă  merveille, tout comme le patronyme Tiffauges. C’est au Professor Doktor Otto BlĂ€ttchenFootnote 66 qu’incombe l’honneur de dĂ©chiffrer ce nom. De par l’ironie le double titre de ce scientifique de la race prĂȘte Ă  rire, d’autant plus que le mot allemand BlĂ€ttchen signifie en français petite feuille de papier. Il rapproche le nom de Tiffauges de l’allemand Tiefauge*, c’est l’Ɠil profond, l’Ɠil enfoncĂ© dans l’orbite »Footnote 67 MTR 422, mot qui correspond parfaitement Ă  la physionomie de Tiffauges. Avec l’emploi du mot sobriquet » il fĂąche Tiffauges, qui se retient pour exploser cependant plus tard quand BlĂ€ttchen se permet de faire encore un autre jeu de mots sur son patronyme en l’appelant Herr Triefauge », jouant ainsi sur l’ Ɠil malade », la myopie de Tiffauges. C’est un des rares moments oĂč Tiffauges se fĂąche et devient menaçant. Ses yeux qui ont rempli leurs orbites au point de saillir au-dehors » MTR 423 font penser au dessin de l’ogre fait par Gustave DorĂ© pour illustrer Le Petit Poucet Fig. 2. Jean-Bernard Vray n’exclut pas une forme de rivalitĂ© entre BlĂ€ttchen et Tiffauges, les deux se livrant Ă  des expĂ©riences, criminelles pour l’un et perverses pour l’autre. Plus loin Vray constate que BlĂ€ttchen et Tiffauges pratiquent tous les deux l’analyse anatomique » 1997, pp. 141 et 183. Fig. 2Wikimedia CommonsGustave DorĂ©, Le Petit size image Tiefauge » et Triefauge » deux jeux de mots par l’intermĂ©diaire de l’allemand, dont la connaissance approfondie acquise par Tiffauges en quelques annĂ©es seulement est aussi surprenante qu’invraisemblable. À moins que l’on y voie l’effet du surdĂ©veloppement de son ouĂŻe. Cependant il n’y a rien dans le roman sur cette autre allusion bien Ă©vidente celle Ă  Tiffauges, le nom du chĂąteau de Gilles de Rais, qui peut ĂȘtre considĂ©rĂ© comme archĂ©type de l’ 68 Pour Jean-Bernard Vray Gilles de Rais est [
] mĂ©tonymiquement inclus dans Tiffauges par le choix de ce nom » 1997, p. 126. L’explication du nom du cheval de Tiffauges ne fait pas non plus allusion Ă  Gilles de Rais qui a servi de modĂšle pour le personnage mythique de Barbe-BleueFootnote 69 Un soir, l’Oberforstmeister revint de Trakehnen en menant au cul de sa charrette anglaise un hongre noir gigantesque, bosselĂ© de muscles, chevelu et fessu comme une femme. [
] Un matin que le cheval Ă©tait touchĂ© par un rayon de soleil tombant Ă  contre-jour, il = Tiffauges s’avisa que son poil d’un noir de jais prĂ©sentait des moires bleutĂ©es en forme d’aurĂ©oles concentriques. Ce barbe Ă©tait ainsi un barbe bleu, et le nom qu’il convenait de lui donner s’imposait de lui-mĂȘme. MTR 388–389 On notera que Tiffauges fĂ©minise par la suite son barbe bleu* », Ă  savoir le nom du type de cheval, en Barbe-Bleue », montrant ainsi sa connaissance du conte de Perrault et rĂ©affirmant par la mĂȘme occasion sa sensibilitĂ© aux jeux de mots. L’apparition rĂ©pĂ©tĂ©e du mot hongreFootnote 70 dans ce contexte confirme le rapprochement Ă©tymologique et anagrammatique avec ogre ainsi que le microgĂ©nitomorphisme de avoue sa propension pour le jeu avec les lettres au sujet du mot inspiration* » Ici, je ne joue pas sur les mots. Il est logique qu’à ce niveau, le sens propre et le sens figurĂ© se confondent, tout comme on ne doit jamais perdre de vue qu’esprit vient de spiritus* dont le premier sens est souffle*, vent* » MTR 466. La premiĂšre phrase de cette citation laisse entendre que le jeu sur les mots lui est familier ailleurs. Cette prĂ©dilection du jeune Tiffauges pour le jeu avec le double sens des mots et des lettres avait dĂ©jĂ  apparu dans la scĂšne du tatouage, dĂ©fini comme tracer profondĂ©ment des signes sur la peau sans l’écorcher » MTR 199, au collĂšge Saint-Christophe, union du signe et de la chair. Les Ă©nigmatiques initiales » de la formule A T pour la vie* » tatouĂ©e par Tiffauges sur la cuisse de Pelsenaire peuvent en effet avoir plusieurs significations A toi pour la vie* », Abel Tiffauges pour la vie* » ou encore AthĂ©e pour la vie » MTR 199–200.Pour Liesbeth Korthals Altes 1992, p. 59 cette scĂšne montre que dĂ©jĂ  pour Tiffauges enfant l’écriture Ă©tait le premier acte par lequel il cherchait Ă  s’assujettir l’entourage qui l’opprime ». A toi pour la vie* » relĂšve de la soumission, Abel Tiffauges pour la vie* » de la domination. Korthals Altes met cette Ă©quivoque en rapport avec les Juifs Ă  Auschwitz marquĂ©s dans leur chair ». Le tatouage de Pelsenaire par Tiffauges semble aussi annoncer les signes de la chair dont il est question dans les fragments oĂč les enfants sont sĂ©lectionnĂ©s en fonction de leurs caractĂ©ristiques aryennes Ă  l’entrĂ©e dans les cette scĂšne montre bien avec quel soin Tournier a choisi le nom et mĂȘme les initiales du protagoniste de son rĂ©cit en cherchant Ă  leur donner une motivation linguistique, il en est de mĂȘme pour la victime » de Tiffauges. Originaire du nord de la France, de la Belgique et des Pays-Bas, le patronyme de Pelsenaire est Ă  mettre en rapport Ă©tymologique avec le nom professionnel de pelseneer, celui qui travaille la peau » en moyen nĂ©erlandais, le verbe pelsen » signifiant travailler la peau ». Personnage impressionnant, il est prĂ©sentĂ© par Tiffauges dans son journal sous ce mĂȘme aspect cutanĂ© » Une bonne part de son prestige tenait Ă  un ceinturon de cuir d’une largeur inouĂŻe – j’ai appris plus tard qu’il avait Ă©tĂ© taillĂ© dans une sous-ventriĂšre de cheval » MTR 198. Nous verrons plus loin qu’avec le choix des noms de quelques autres personnages du roman l’auteur fait preuve de cette mĂȘme application pour Ă©tablir un rapport significatif entre patronyme et personnage en rĂ©duisant l’arbitraire entre les nom du collĂšge Saint-Christophe est expliquĂ© in extenso dans le journal de Tiffauges, qui termine ces pages avec les termes gĂ©ant Porte-Christ » MTR 227. Par le choix de ce nom du collĂšge Tournier dĂ©termine ainsi de maniĂšre claire et nette le cadre judĂ©o-chrĂ©tienFootnote 71 de ce roman mythologique tout en l’inscrivant dans le thĂšme omniprĂ©sent de la phorie. En revanche, aucune explication pour la Porte-des-Ternes oĂč se trouve le garage de Tiffauges. Pourtant il n’est pas moins Ă©loquent le thĂšme phorique y apparaĂźt textuellement. De plus, Tiffauges constate que son mĂ©tier de garagiste [le] replace sous le patronage du gĂ©ant Porte-Christ » MTR 217 du fait qu’il entretien[t] et rĂ©pare cet instrument par excellence de la migration, l’automobile » MTR 218. De toutes les Portes de Paris que l’auteur aurait pu choisir, il a bien sĂ»r retenu la Porte-des-Ternes le sens du mot terneFootnote 72 se rapproche de celui de sinistre et correspond le mieux Ă  l’ambiance lugubre du roman et de son Ă©poque. Signalons dans ce contexte le nom de Cromorne, protagoniste du roman commencĂ© et abandonnĂ© par Tournier en 73 PrĂ©curseur de Tiffauges, ce Cromorne est garagiste comme lui. Tournier a dĂ©clarĂ© avoir choisi le nom de Cromorne, qui devait avoir un sens en allemand et en français, pour sa consonance belle et triste. En plus le nom de Cromorne est celui d’un instrument de musique, le Krummhorn en allemand. Tournier lui-mĂȘme appelle Les Plaisirs et les Pleurs d’Olivier Cromorne une prĂ©monition du Roi des Aulnes. Olivier Cromorne, c’est Abel Tiffauges avant la guerre », ou encore une premiĂšre mouture du Roi des Aulnes » 2011, pp. 84–85, 90, 93.Footnote 74 À Cromorne il a prĂ©fĂ©rĂ© cependant le nom de Tiffauges, jugĂ© plus riche vu son rapport avec le chĂąteau de Gilles de Rais et avec les mots allemands Tief 75Les arguments qui sont Ă  la base du choix de la Porte-des-Ternes Ă  Paris se retrouvent encore dans celui de la banlieue parisienne de Pantin oĂč se trouvent les origines de Phiphi, le plus jeune prisonnier de guerre de la baraque oĂč est internĂ© Tiffauges dans les environs de MoorhofFootnote 76 en Allemagne. Personne comique ou ridicule par ces gesticulations excessivesFootnote 77» le nom de pantin » convient parfaitement Ă  ce Phiphi qui fatiguait tout le monde de ses calembours et de ses grimaces » MTR 337. Quand on prend en considĂ©ration que la caractĂ©ristique principale du calembour est le double sens, on est frappĂ© par le procĂ©dĂ© du dĂ©doublement utilisĂ© par le narrateur dans les passages consacrĂ©s Ă  ce personnage malheureux. D’abord, bien sĂ»r, dans le diminutif de son nom Phiphi, puis dans le double sens de Pantin/pantin » et les multiples significations grimaces ».Footnote 78 ContrariĂ© par ces camarades, Phiphi s[e] dĂ©fendit par un feu d’artifice d’à-peu-prĂšs [
] ». Le premier terme de cette citation dĂ©double la feinte de la grimace, le second est synonyme de calembour. Phiphi finit par se suicider pour des raisons qui restent inexpliquĂ©es, on le retrouva mort, pendu Ă  un poteau de l’enceinte avec sa ceinture » MTR 345. Tout compte fait, le narrateur a recours dans ses descriptions de Phiphi Ă  la mĂȘme propension que celle qui caractĂ©rise Phiphi, ce qui nous amĂšne Ă  penser que Tournier pourrait trĂšs bien se moquer ici de lui-mĂȘme, lui qui aime tout autant les jeux de mots et les calembours, sachant d’ailleurs et confirmant ainsi qu’ils ne sont pas forcĂ©ment 79 Le jeu langagier auquel se livre Tournier constitue une partie intĂ©grante de son humour ou de son cĂŽtĂ© insolite, sans qu’il ne perde jamais de vue l’objectif qu’il cherche Ă  atteindre et communiquer. Cette conception littĂ©raire de Tournier a Ă©tĂ© trĂšs bien exposĂ©e par Susanna Alessandrelli 2013, p. 48L’humoriste exploite de prĂ©fĂ©rence l’ambiguĂŻtĂ© des rapports entre signifiant et signifiĂ©, ou brouille dĂ©libĂ©rĂ©ment les rĂšgles qui les rĂ©gissent. Toutefois, chez Michel Tournier, les jeux avec le langage sont toujours loin d’ĂȘtre innocentes et sont plutĂŽt au service d’un usage subversif du message qu’il nous est dĂ©crit, il semble qu’à la diffĂ©rence de Tournier, l’usage des calembours par Phiphi est gratuit et donc condamnĂ© Ă  80 Le rapprochement avec le concept du diabole », qui est symbole vidĂ© de sens, s’impose. Le suicide de Phiphi serait ainsi apparentĂ© Ă  l’autodestruction du rĂ©gime nazi annoncĂ©e par le comte de Kaltenborn. À moins que la mort de Phiphi soit justifiĂ©e par le manque de respect voire la ridiculisation de la langue, allemande en l’occurrence, des mots et des nomsIl s[e] dĂ©fendit par un feu d’artifice d’à-peu-prĂšs oĂč entraient pĂȘle-mĂȘle les noms des uns et des autres, ceux des rues et des bistrots de Pantin et les mots tudesques – grotesquementFootnote 81 francisĂ©s – qu’il avait glanĂ©s depuis le dĂ©but de sa captivitĂ©. MTR 345Tiffauges essaie de surmonter son dĂ©sespoir moral en se livrant Ă  la pratique du brame* », espĂšce de rite oĂč s’exhale tout l’ennui de vivre et toute l’angoisse de mourir » MTR 227. Cette pratique, qui montre au plus fort sa folie, lui est venue par la lecture du roman Le PiĂšge d’or de James Oliver Curwood que lui a prĂȘtĂ© Nestor. Le hĂ©ros de ce rĂ©cit, qui se dĂ©roule au Canada, c’est Bram Johnson, un colosse sauvage [pour qui] hurler avec les loups n’était pas une figure de style » MTR 222. Par l’intermĂ©diaire d’un jeu de mot avec le nom anglais du protagoniste de ce roman, le cri de Bram » devient le brame* » de Tiffauges. Le brame des cerfs en rut est encore Ă©voquĂ© par Tiffauges quand il est question du magnĂ©tophone de Karl F., dont le fonctionnement au niveau du son se compare parfaitement Ă  celui de l’appareil photo par rapport Ă  l’image ou encore Ă  celui de l’écriture par rapport au papier. Plus tard, depuis sa cabane appelĂ©e le Canada » MTR 346,Footnote 82 Tiffauges entend le brame naturel des cerfs, notamment celui de l’ Unhold* », qui est si profond qu’on aurait dit le rire d’un gĂ©ant ventriloque » MTR 353. Dans ce contexte de brames et de cris incontrĂŽlĂ©s il convient de signaler aussi les sens du mot unhold » en anglais disgracieux/repoussant » et relĂącher/laisser Ă©chapper », ce qui correspond entiĂšrement Ă  la pratique Ă  laquelle se livre Tiffauges. Que Tournier n’hĂ©site pas Ă  recourir aux langues Ă©trangĂšres pour ses jeux onomastiques nous est rĂ©vĂ©lĂ© aussi par Dalmas 2005, p. 99, qui signale que l’orthographe du nom Helmut est changĂ©e en Hellmut, sous l’influence de l’anglais enfer ».Footnote 83Tiffauges se dĂ©clare trĂšs sensible Ă  la poĂ©sie musicale des prĂ©noms allemands, qui exercent sur lui un vĂ©ritable enchantement. La description qu’il fait de la belle et longue litanie de l’appel » MTR 480 des quatre cents garçons de la napola en tĂ©moigneFootnote 84Il n’est pas de plus douce musique pour moi que ces prĂ©noms Ă©vocateurs, criĂ©s par des voix toujours nouvelles et sur lesquelles se posera Ă  son tour le prĂ©nom qui lui revient. Ottmar aus Johannisburg, Ulrich aus Dirntal, Armin aus Königsberg, Iring aus Marienburg, Wolfram aus Preussisch Eylau, JĂŒrgen aus Tilsit, Gero aus Labiau, Lothar aus BĂ€renwinkel, Gerhard aus Hohensalzburg, Adalbert aus Heimfelden, Holger aus Nordenburg, Ortwin aus Hohenstein
 Je dois me faire violence pour interrompre ce recensement de mes richesses [
] MTR 480 Quelle diffĂ©rence avec cette autre Ă©numĂ©ration de la carte gĂ©ographique infernale »Schirmeck, Natzviller, Dachau, Neuengamme, Bergen-Belsen, Buchenwald, Oranienburg, Theresienstadt, Mauthausen, Stutthof, Lodz, RavensbrĂŒck
 Ces noms avaient dans la bouche d’ÉphraĂŻm la valeur de points de repĂšre familiers sur cette terre des ombres qui Ă©tait la seule qu’il connĂ»t. Mais aucun ne brillait d’un Ă©clat aussi noir que celui d’Oswiecim, Ă  trente kilomĂštres au sud-est de Katowice, en Pologne, que les Allemands appelaient Auschwitz. MTR 505Les nombreux noms gĂ©ographiques allemands qui figurent dans les chapitres III Ă  VI paraissent brosser essentiellement la couleur locale de l’Allemagne et notamment de la Prusse-Orientale oĂč se dĂ©roulent ces parties du roman. Plus qu’un certain exotisme, ils semblent encore Ă©voquer le dĂ©clin de cet empire allemand, cette connotation Ă©tant bien sĂ»r aussi le rĂ©sultat des connaissances historiques du lecteur d’aprĂšs-guerre. Certains noms allemands sont connotatifs, allusifs ou associatifs pour les germanophones Raufeisen Ă©voque en mĂȘme temps le rapt », le vol », le froid », le fer » et l’ Ă©pĂ©e », correspondant ainsi parfaitement Ă  sa fonction et sa conduite dans la napola de Kaltenborn, dont la premiĂšre syllabe du nom reprend prĂ©cisĂ©ment ce caractĂšre froid et insensible de l’éducation et de la discipline de fer imposĂ©es aux futurs SS. Dans Le Vent Paraclet MTR 1383 Tournier dĂ©clare n’avoir jamais mis les pieds en Prusse-Orientale, la description de cette rĂ©gion est donc purement fictive, certes aprĂšs documentation sĂ©rieuse. Avec l’invention du nom de Kaltenborn Tournier fait preuve de ce qu’on pourrait appeler une intuition onomastique » il apprend qu’aprĂšs la guerre le dernier conservateur de la rĂ©serve de Rominten s’était repliĂ© en Allemagne de l’Ouest et administrait une rĂ©serve de chasse [
] prĂšs de Kaltenbronn [
] Je fus assez impressionnĂ© par la similitude de ce nom de localitĂ© rĂ©elle avec celui de la forteresse imaginaire de Kaltenborn oĂč j’avais logĂ© ma napola en Prusse-Orientale » Le Vent Paraclet, MTR 1388. Une variante de cette intuition est l’esprit prĂ©monitoire de Tournier, qu’il rĂ©vĂšle Ă©galement dans Le Vent Paraclet MTR 1403 en racontant sa dĂ©couverte de la Prusse-Orientale en 1975, donc bien aprĂšs la parution du roman [
] j’admirais qu’ayant Ă  dĂ©couvrir la Prusse-Orientale ce fĂ»t en compagnie d’un gĂ©ant amateur de lait et d’enfants = Philippe Janssen, tel exactement que j’avais imaginĂ© Abel Tiffauges ». VoilĂ  l’imaginaire romanesque rattrapĂ© aprĂšs coup par la rĂ©alité Les Ă©minences scientifiques nazies Essig, Keil, Heck et BlĂ€ttchenFootnote 85 sont plutĂŽt ridiculisĂ©es, aussi bien par leurs patronymes que par leurs thĂ©ories et pratiques contestables et par les titres acadĂ©miques pompeux et grotesques dont ils sont dotĂ©s. Il ne va pas de mĂȘme pour le professeur Unruh, savant gĂ©nĂ©ticien » MTR 317, qui avait rĂ©ussi Ă  reproduire des pigeons qui sont des jumeaux 86 Les travaux gĂ©nĂ©tiques du professeur docteur Lutz Heck, pĂšre de Bos Primigenius Redivivus », dont il est question avec beaucoup d’ironie dans la partie L’Ogre de Rominten MTR 371, font Ă©cho Ă  ceux du professeur Unruh sur les pigeons. Ils sont les prĂ©curseurs animaliers des expĂ©riences mĂ©dicales livrĂ©es par le Dr Mengele sur les humains, et notamment sur la gĂ©mellitĂ©. Pendant ses rafles de pigeons, qui annoncent celles des enfants pour la napola de Kaltenborn, Tiffauges rencontre la veuve du professeur qui s’inquiĂšte qu’il lui prenne le pigeon argentĂ©, ce qu’[elle a] de plus cher au monde depuis la mort du professeur ». Rien Ă  faire, par l’attitude imperturbable et implacable de Tiffauges, [e]lle comprit alors que si le pigeon platinĂ© Ă©tait un symbole pour elle, il Ă©tait bien davantage encore pour Tiffauges » MTR 220. Or, le visage crayeux et les lĂšvres tremblantes de Mme Unruh » correspondent Ă  merveille Ă  son patronyme qui signifie inquiĂ©tude en des scĂšnes les plus horribles du roman est sans doute la mort d’Arnim, le garçon de la napola qui est pulvĂ©risĂ© par la mine lourd disque de mort » MTR 499, comme un Atlas dĂ©chu qu’il porte. Arnim, porteur de mine jusque dans son nom. Par la puissance de l’explosion Tiffauges est jetĂ© Ă  terre et couvert par le sang du garçon. Dans ses Écrits sinistres il dĂ©crit cet Ă©vĂ©nement avec un lyrisme religieux,Footnote 87 faisant allusion directe Ă  la conversion de Saul Ă  Damas. Le prĂ©nom d’Arnim prĂ©figure et inclut cette explosion par la mine et par l’inversion des trois lettres il mime le renversement littĂ©ral et figurĂ© de 88Le nom du dernier guillotinĂ© en public en France, Weidmann, prĂ©sente Ă©galement un intĂ©rĂȘt particulier pour le roman. Cet assassin, qui ressemble comme deux gouttes d’eau Ă  Tiffauges, est nĂ© le mĂȘme jour que lui. Ayant fait le chemin inverse de Tiffauges en quittant l’Allemagne pour la France, le gĂ©ant aux sept crimes » MTR 295 a Ă©tĂ© condamnĂ© Ă  mort pour avoir tuĂ© sept personnes et est exĂ©cutĂ©Footnote 89 le 17 juin 1939 sous les acclamations d’une foule hargneuse » MTR 297. Avec son nom qui signifie chasseur en français, il s’inscrit ainsi dans plusieurs grands thĂšmes du roman Ă  la fois la chasse, la gĂ©mellitĂ©,Footnote 90 l’inversion, la peur et le pressentiment du rejet par la foule ainsi que la mythologie exploitant le chiffre 91L’onomastique difficile Ă  lire » des chiffres et des lettresPar la difficultĂ© Ă  lire l’auteur pose des exigences au niveau de la comprĂ©hension et de l’interprĂ©tation de la part du lecteur. Bevan 1986, p. 70 insiste sur l’importance pour Tournier de la participation crĂ©atrice du lecteur ». Il cite Tournier dans un article paru dans Le Magazine littĂ©raire 1981 [
] une Ɠuvre naĂźt quand un livre est lu, et [
] cette Ɠuvre est un mĂ©lange inextricable du livre Ă©crit, c’est-Ă -dire de la volontĂ© de l’auteur, et des fantasmes, des aspirations, des goĂ»ts, de toute l’infrastructure intellectuelle et sentimentale du lecteur. Un livre a toujours deux auteurs celui qui l’écrit et celui qui le lit ». Bevan en conclut Rendre plus opaque, rendre plus rĂ©sistant Ă  une conclusion dĂ©finitive, c’est exiger du lecteur un plus grand effort, une plus grande participation » 1986, p. 70.Dans ses Écrits sinistres du 28 mars 1938 Tiffauges se dit accoutumĂ© aux coĂŻncidences inexplicables dont j’ai pris mon parti comme d’autant de petits rappels Ă  l’ordre* » MTR 246. Il en donne un bel exemple oĂč le jeu de mots avec ce qu’il appelle des rappels Ă  l’ordre » est Ă©videntIl y a six mois, ayant des Ă©chĂ©ances difficiles, j’ai achetĂ© un billet entier de la Loterie nationale en prononçant cette courte priĂšre Nestor, pour une fois ? » Oh, je ne peux pas dire qu’on ne m’a pas entendu ! On m’a mĂȘme rĂ©pondu. Par une maniĂšre de pied de nez. Mon numĂ©ro Ă©tait le B 953 716. Le numĂ©ro qui a rapportĂ© un million Ă  son propriĂ©taire Ă©tait le B 617 359. Mon numĂ©ro Ă  l’envers. C’était pour m’apprendre Ă  vouloir tirer un profit trivial de ma relation privilĂ©giĂ©e avec le ressort de l’univers. Je me suis fĂąchĂ©, puis j’ai ri. MTR 246 Ce fragment est intĂ©ressant de plusieurs points de vue. D’abord, le billet de loterie achetĂ© par Tiffauges pour gagner un ballon d’oxygĂšne et renflouer la caisse de son garage situĂ© prĂšs du Ballon des Ternes MTR 248, sculpture de Bartholdi, porte trĂšs exactement deux sĂ©ries de trois chiffres, soit deux ternes prĂ©cĂ©dĂ©s de la lettre B. Ce Ballon des Ternes est en effet l’Ɠuvre de Bartholdi, le crĂ©ateur de la statue de la LibertĂ© et du Lion de Belfort. Sur la page Wikipedia Porte-des-Ternes on trouve la description suivanteLe groupe reprĂ©sentait la Ville de Paris, sur les genoux de laquelle reposait un enfant tendant les mains vers un pigeon lui apportant des nouvelles du pays. AuprĂšs d’eux se tenaient un jeune homme armĂ© d’une Ă©pĂ©e et un marin se cramponnant Ă  l’aĂ©rostat. Un imposant ballon de cuivre martelĂ© couronnait l’ensemble de ce groupe commĂ©moratif. Il fut inaugurĂ© le 28 janvier 1906 [et] fondu par les Allemands pendant la Seconde Guerre 92 L’enfant qui tend la main vers un pigeon collĂ© par un bout de l’aile » Queneau 1980 n’a pas dĂ» passer inaperçu pour Tournier, qui a habitĂ© Neuilly Ă  partir de 1941 et frĂ©quentĂ© le lycĂ©e Pasteur de Neuilly, situĂ© Ă  deux pas de la Porte-des-Ternes. À premiĂšre vue les aĂ©ronautes reprĂ©sentĂ©s sur le socle de la statue semblent porter le ballon, Ă  la rĂ©flexion on se rend compte que c’est tout le contraire, bien sĂ»r. Autre inversion cette statue de ballon cĂ©leste fait penser Ă  l’image connue d’Atlas portant le globe terrestre, inversion explicitĂ©e par Tiffauges comme suit Je m’avise en feuilletant un dictionnaire qu’Atlas portait sur ses Ă©paules – non pas le monde, ni la terre comme on le reprĂ©sente habituellement – mais le ciel » MTR 264. Les Figures 3 et 4 illustrent cette inversion. Fig. 3Wikimedia CommonsArtus Quellinus, Atlas Palais royal Amsterdam.Full size imageFig. 4Wikimedia CommonsFrĂ©dĂ©ric Auguste Bartholdi, Le Ballon des size imagePour ce qui est du choix de la lettre B, rien ne permet de faire avec certitude le rapprochement avec Bartholdi et Ballon des Ternes. Cette lettre revient dans le quartier B, oĂč le Dr Mengele se livrait Ă  ses expĂ©riences mĂ©dicales sur les dĂ©tenus. Mengele [
] s’intĂ©ressait passionnĂ©ment Ă  la gĂ©mellitĂ© [
] » MTR 508–509. Dans le mĂȘme camp de concentration, Auschwitz, dĂ©butent en 1941 les premiĂšres expĂ©riences avec le pesticide Zyklon B, ce gaz toxique et asphyxiant est utilisĂ© ensuite Ă  grande Ă©chelle pour l’extermination des Juifs. On retrouve la lettre B encore dans le nom hĂ©breu et biblique de BĂ©hĂ©moth, ici dans le sens de Cheval d’IsraĂ«l, nom que donne ÉphraĂŻm Ă  Tiffauges qui le porte sur ses Ă©paules MTR 512–513. La premiĂšre description faite par Tiffauges de son garage situĂ© aux portes de Paris est franchement nĂ©gative avec son ciel humide et noir », son odeur de vieille graisse » et son atmosphĂšre que je hais » MTR 192. Il lui donne donc aussi des soucis financiers. Il aspire Ă  Ă©chapper Ă  ce garage, aux mĂ©diocres occupations [
] et Ă  [lui]-mĂȘme » MTR 192, bref de quitter toute cette vie marginale et prĂ©caire menĂ©e prĂšs du faubourg que l’on appelle depuis les annĂ©es soixante-dixFootnote 93la zone. Le sens du verbe zoner couvre aussi toute l’errance dĂ©sespĂ©rĂ©e de Tiffauges, son existence misĂ©rable et ses efforts pour y Ă©chapper, lui qui, rejetĂ© par la sociĂ©tĂ©, cherche sa » place partout et qui se rend compte de son erreur d’apprĂ©ciation quand il pense l’avoir trouvĂ©e en Prusse-Orientale. Serait-il trop osĂ© de soupçonner ici une lecture alternative du titre du roman, Ă  savoir Le Roi des Zones,Footnote 94 en rĂ©fĂ©rence aux zones d’ombre oĂč Ă©volue le protagoniste et Ă  cette prĂ©caritĂ© sociale, gĂ©ographique et morale dont Tiffauges se croit et se dĂ©clare Ă  la fois victime et champion ? Dans Le Vent Paraclet Tournier signale que [l]ongtemps les Allemands de l’Ouest n’ont consenti Ă  appeler l’Allemagne de l’Est que la Zone’ sous-entendu d’occupation soviĂ©tique* » MTR 1411. Rappelons que la Prusse-Orientale oĂč sĂ©vit Tiffauges avait Ă©tĂ© annexĂ©e » Ă©galement par l’Union soviĂ©tique aprĂšs la Seconde Guerre mondiale suite aux confĂ©rences de Potsdam et de lecture alternative du titre dĂ©double celle que l’on reconnaĂźt aisĂ©ment comme inspirĂ©e de la ballade de Goethe, mise en musique par Schubert. L’identification de Tiffauges avec l’homme des tourbiĂšres exhumĂ© [
] dans un petit bois d’aulnes » MTR 358 est d’abord physique, puis morale vers la fin roman quand Tiffauges va jusqu’à Ă©voquer [s]a dignitĂ© de Roi des Aulnes » MTR 500. La pratique du rapt d’enfants et l’élĂ©ment chevaleresque de la ballade se reconnaissent Ă©galement facilement dans le roman. Dans Le Vent Paraclet Tournier s’explique in extenso sur le rĂŽle, l’origine et l’interprĂ©tation de la ballade de GoetheCe poĂšme [
] a toujours Ă©tĂ© pour l’écolier français [
] le* poĂšme allemand par excellence, le symbole mĂȘme de l’Allemagne. Le plus Ă©trange c’est qu’à l’origine de ce poĂšme se trouve une erreur de traduction de Herder qui popularisa le folklore danois en Allemagne. Eller*, les elfes, devint sous sa plume Erlen*, les aulnes [
]. Or il est peu probable que Goethe se fĂ»t intĂ©ressĂ© Ă  la lĂ©gende du banal roi des Elfes. En revanche son imagination s’enflamma Ă  l’évocation si prĂ©cise et originale de l’aulne, parce que l’aulne est l’arbre noir et malĂ©fique des eaux mortes [
]. L’aulne des marĂ©cages Ă©voque les plaines brumeuses et les terres mouvantes du Nord, et l’Erlkönig l’ogre aĂ©rien, amateur d’enfants, qui plane sur ces tristes contrĂ©es. MTR 1393 Toute la thĂ©matique du roman est ainsi donnĂ©e, y compris le dĂ©cor. Qui plus est, l’erreur de traduction de l’expression folklorique danoise par Herder semble annoncer celle commise par Tiffauges au niveau de l’interprĂ©tation de la symbolique le contexte du titre du romanFootnote 95 nous aimons revenir Ă  l’article sur les jeux de mots de Redfern, oĂč il parle de l’éventuel plagiat commis par Tournier dans la description du combat chevaleresque entre les garçons au CollĂšge Saint-Christophe MTR 228–230, fragment qui semble en effet ĂȘtre inspirĂ©e par une scĂšne du Grand Meaulnes d’Alain-Fournier. Pour Redfern 1985, p. 315, Tournier se serait plutĂŽt livrĂ© Ă  une forme d’intertextualitĂ© fondĂ©e sur ce qu’il appelle phonic memory » Tournier/Fournier; aulnes/ 96 Il convient en effet de ne pas mĂ©connaĂźtre le rĂŽle important de l’association formelle dans le processus crĂ©atif qui est Ă  la base de l’Ɠuvre de des chiffres inversĂ©s du billet de loterie reflĂšte aussi l’écriture Ă  reculons du roman. Tournier a indiquĂ© lui-mĂȘme qu’il construit de prĂ©fĂ©rence ses rĂ©cits Ă  partir de leur issue ou leur dĂ©nouement, en remontant dans le temps narratif L’un des secrets consiste Ă  Ă©crire la fin du roman avant le dĂ©but
 Le livre se compose toujours de deux versants
 Pour obtenir les correspondances, il suffit de travailler simultanĂ©ment Ă  chacun des versants. Je n’hĂ©site pas, s’il le faut, Ă  Ă©crire Ă  reculons ».Footnote 97 Dans Le Roi des Aulnes cette technique est trĂšs apparente, tout Ă©vĂ©nements, rĂ©flexions, symboles, etc. converge vers la fin du roman. Écriture Ă  rebours, mais aussi lecture Ă  reboursFootnote 98 le lecteur ou encore le chercheur! n’est-il pas saisi par l’envie de reprendre, de relire le roman depuis le dĂ©but dĂšs la lecture de la derniĂšre page ? Cette connivence entre auteur et lecteur semble bien ĂȘtre une caractĂ©ristique recherchĂ©e essentielle de l’Ɠuvre de Tournier, pour qui [
] la lecture est crĂ©atrice. Tout lecteur est un crĂ©ateur ».Footnote 99Enfin le thĂšme de l’inversion illustrĂ© ici au niveau Ă©vident des chiffres est un bel exemple de l’humour de Tournier. Dans Le Vent Paraclet MTR 1391 il Ă©crit que toute Ɠuvre grande et profonde » se signale par l’humour. Il se moque de sa propre technique d’écriture Ă  rebours dont il est question plus haut, tout en inscrivant cette moquerie dans le thĂšme omniprĂ©sent de l’inversion. En revanche, l’humour que fait transparaĂźtre Tiffauges est bien limitĂ©, les passages oĂč il rit jaune quand mĂȘme
 comme dans le fragment prĂ©citĂ© sont trĂšs rares dans le roman, et quasiment absents depuis sa rupture avec Rachel. Notons aussi qu’avant de rire Tiffauges se fĂąche ces deux attitudes physiques antithĂ©tiques, sans transition, sont bel et bien l’expression du mĂȘme 100 Or, le jeu que l’auteur prĂ©sente dans ce passage clair et net avec ces numĂ©ros/chiffresFootnote 101 se joue Ă©galement, voire encore plus, au niveau des lettres. Ainsi Redfern constate que Tournier’s wordplaying is itself une inversion maligne’- a clever, controlled, often malicious twist » 1985, p. 313. Worton abonde dans ce sens en relevant le choix par Tournier d’introduire dans son conte La Reine blonde un certain Edward Reinroth Édouard Ă©tant le deuxiĂšme prĂ©nom du romancier et Reinroth la quasi-anagramme de Tournier, on peut penser qu’il s’inscrit lui-mĂȘme dans son conte, de façon subversive et ironique [
] » 1991, p. 239.Footnote 102 Nous ajouterions que la signification rouge pur », la connotation germanique et la rĂ©fĂ©rence gĂ©ographique du pseudonyme inversĂ© de Reinroth ne sont pas non plus Ă  choix d’un grand nombre de noms dans le roman nous semble en effet confirmer que Tournier s’est livrĂ© dans ce domaine encore Ă  un travail de crĂ©ation, mieux de bricolage, en forgeant non pas des noms relativement faciles Ă  comprendre, comme nous l’avons vu pour celui d’Abel Tiffauges, mais plutĂŽt Ă©nigmatiques et difficiles Ă  dĂ©chiffrer par leur forme anagrammatique ou leur caractĂšre et ÉphraĂŻmLe nom de Rachel est le premier Ă  paraĂźtre dans les Écrits sinistres MTR 191. C’est aussi elle qui est la premiĂšre Ă  reconnaĂźtre le caractĂšre d’ogre de Tiffauges, bien avant qu’il en fasse la dĂ©couverte lui-mĂȘme Tu es un ogreFootnote 103» MTR 191, Tu assouvis ta faim de chair fraĂźche » et Tu me ravales au niveau du bifteck » MTR 196. C’est encore la rupture avec Rachel qui permet Ă  Tiffauges de se rendre compte de sa double nature, reconnaissance qui se double de la dĂ©couverte de son Ă©criture gaucheQuand Rachel m’a quittĂ©, j’ai pris la chose d’un cƓur lĂ©ger. Je continue d’ailleurs Ă  juger cette rupture sans gravitĂ©, et mĂȘme bĂ©nĂ©fique d’un certain point de vue, parce que j’ai la conviction qu’elle ouvre la voie Ă  de grands changements, Ă  de grandes choses. Mais il y a un autre moi, le moi visqueux. Celui-lĂ  n’avait rien compris d’abord Ă  cette histoire de rupture. Il ne comprend d’ailleurs jamais rien du premier coup. C’est un moi pesant, rancunier, humoral, toujours baignĂ© de larmes et de semence, lourdement attachĂ© Ă  ses habitudes, Ă  son passĂ©. Il lui a fallu des semaines pour comprendre que Rachel ne reviendrait plus. Maintenant il a compris. Et il pleure. MTR 208 On remarquera que Tiffauges se tient ici un miroir en s’observant de l’extĂ©rieur et en se dĂ©crivant comme un ĂȘtre Ă©tranger Ă  lui-mĂȘme le passage du je » au il » est significatif Ă  cet Ă©gard. Ce Tiffauges-lĂ , celui qui pleure, celui qui rĂ©pĂšte aussi qu’il a souvent riFootnote 104 avec Rachel, se montre sous un aspect humain. Dans la description de sa relation avec Rachel Tiffauges introduit mĂȘme un brin d’humour par moments le double sens et le jeu de mots sur comptable volant »Footnote 105 en rĂ©fĂ©rence au mĂ©tier exercĂ© par cette IsraĂ©lite » parmi sa clientĂšle juive en tĂ©moignent. Rachel de son cĂŽtĂ© se livre Ă  des plaisanterie[s] obscĂšne[s] » MTR 195, affirmant ainsi son air garçonne »Footnote 106 MTR 194. Quelle diffĂ©rence entre ce Tiffauges et l’autre, le surhumain, le sinistre! Au dĂ©but de la partie III du roman, aprĂšs le passage du Rhin, le narrateur confirme le caractĂšre bĂ©nĂ©fique » et mĂȘme nĂ©cessaire de la rupture avec Rachel, toujours en relation avec la mĂ©galomanie de TiffaugesIl avait laissĂ© tomber derriĂšre lui comme vĂȘtements souillĂ©s, comme chausses Ă©culĂ©es, comme peaux craquelĂ©es, Paris et la France, avec au premier plan Rachel [
]. Personne n’avait autant que lui la conscience de son destin, un destin rectiligne, imperturbable, inflexible qui ordonnait Ă  ses seules fins les Ă©vĂ©nements mondiaux les plus grandioses. MTR 331 Si Rachel lĂąche donc le Tiffauges sociable—lui dirait probablement droit » — en France et annonce ainsi sa dĂ©route, le Tiffauges sinistre, qui a effacĂ© son double, lĂąche Rachel Ă  son tour et Ă  l’inverse en Allemagne. LĂącher dans les deux sens donc, le choix du nom de Rachel s’impose et s’explique ainsi tout naturellement Ă  cause de son potentiel anagrammatique, l’inversion du L et du R permettant de rĂ©aliser celle des abandons de l’un par rapport Ă  l’ 107À Rachel la premiĂšre parole du roman, Ă  ÉphraĂŻm la derniĂšre— Il faut quitter la route, dĂ©cida ÉphraĂŻm. Tu vas prendre Ă  gauche par la lande, nous contournerons la colonne de chars. Sans discuter, Tiffauges obliqua vers le talus de gauche, s’enfonça dans les congĂšres boueuses qui le bordaient, et sentit sous ses pieds le sol mou et traĂźtre de la brande. MTR 521 Totalement dĂ©sorientĂ© dans cette Prusse-Orientale, oĂč il perd littĂ©ralement pied dans une terre qui lui Ă©tait si ferme auparavant, Tiffauges s’en remet Ă  ÉphraĂŻm pour le guider et l’ 108 Au fur et Ă  mesure que le rĂŽle de Tiffauges devient plus important dans le monde du nazisme, il s’enfonce dans sa nature ogresque. À la fin du roman c’est l’inverse qui se produit en s’enfonçant dans les marĂ©cages prussiens, il regagne en 109 C’est ÉphraĂŻm qui avait ouvert les yeux de Tiffauges en lui rĂ©vĂ©lant avec une fidĂ©litĂ© effrayante » MTR 505 l’existence des camps d’extermination des Juifs. Le terme de torpeur » MTR 503 est le premier utilisĂ© pour dĂ©crire l’état d’ñme d’ÉphraĂŻm, aprĂšs la description de sa physique. Il s’impose aussi pour dĂ©crire l’effet de la rencontre sur Tiffauges. La torpeur de Tiffauges ne fait que s’accroĂźtre au fur et Ă  mesure qu’il Ă©coute les rĂ©vĂ©lations d’ÉphraĂŻm par la suite. Pour sortir ÉphraĂŻm de la torpeur » oĂč il Ă©tait plongĂ©, il lui faut le porteur qu’est Tiffauges, pour le soulever et relever, toujours selon ce mĂȘme principe de l’inversion, par le sens et par la forme choisie pour l’exprimer. SauvĂ© des fours crĂ©matoires d’Auschwitz, ÉphraĂŻm suit le parcours inverse de Nestor, qui a pĂ©ri dans le feu en rechargeant la chaudiĂšre du collĂšge Saint-Christophe, et dans les deux cas Tiffauges y est pour quelque chose, volontairement pour l’un, accidentellement pour l’autre. ÉphraĂŻm qui dirigeait une voiture Ă  cheval » avec vingt autres enfants [du] Rollkommando » MTR 508 dans le camp de concentration, contre Nestor qui Ă©tait Ă  la tĂȘte des enfants du collĂšge et qui joue aux cavaliers et montures » MTR 228. Tiffauges rachĂšte la perte de Nestor, l’obĂšse, par le sauvetage d’ÉphraĂŻm, l’enfant au corps dĂ©labrĂ© » MTR 504 et squelettique » MTR 505, les deux pourraient d’ailleurs bien avoir le mĂȘme 110 La fusion entre Tiffauges et Nestor est poursuivie par celle de Tiffauges et ÉphraĂŻm qui l’appelle BĂ©hĂ©moth, cheval d’IsraĂ«l » Ă  la fin du l’origine juiveFootnote 111 des noms de Rachel et d’ÉphraĂŻm,Footnote 112 qui bouclent ainsi le roman, est explicitĂ©e par le narrateur, le rapport biblique » entre les deux ne l’est pas. ÉphraĂŻm Ă©tait le petit-fils de Rachel et de Jacob et le fils de Joseph. Lors de la bĂ©nĂ©diction d’ÉphraĂŻm et de son frĂšre aĂźnĂ© ManassĂ© par Jacob, celui-ci, aveugle, croise les bras et met la main droite sur la tĂȘte d’ÉphraĂŻm et la main gauche sur celle de ManassĂ©, inversant ainsi le droit d’ 113 Le choix du nom d’ÉphraĂŻm est donc loin d’ĂȘtre arbitraire, car par ces origines bibliques ce personnage incarne et rĂ©itĂšre le grand thĂšme de l’inversion du roman Fig. 5.Fig. 5Wikimedia CommonsBenjamin West, Jacob bĂ©nissant ÉphraĂŻm et size imageCette scĂšne nous conduit aussi Ă  cet autre tableau de deux enfants, au collĂšge Saint-Christophe, dĂ©crit par le jeune Tiffauges Tenant ma main gauche dans sa main droite, Nestor Ă©crivait et dessinait de la main gauche » MTR 216.NestorÉtymologiquement le prĂ©nom de Nestor signifie celui qui revient toujours »,Footnote 114 ce qui correspond tout Ă  fait aux rĂ©apparitions frĂ©quentes dans la vie et dans le journal de Tiffauges. Le nom de Nestor Ă©voque aussi la sagesse liĂ©e Ă  l’ñge, la stupĂ©fiante prĂ©cocitĂ© » MTR 205 intellectuelle du personnage tourniĂ©rien pourrait s’inscrire ainsi dans le thĂšme omniprĂ©sent de l’inversion. Les actes et les dires de Nestor sont d’ailleurs aussi invraisemblables que ceux de Tiffauges voire plus. C’est Nestor qui lance le concept de l’Alpha et de l’OmĂ©ga Il faudrait rĂ©unir d’un trait alpha et omĂ©ga », MTR 221 et qui cherche Ă  en trouver le signe absolu » MTR 239. La signification de ce thĂšme d’origine religieuseFootnote 115 est donnĂ©e plus loin dans le roman, Ă  Rominten, sous forme de sacrilĂšge Quant au rĂŽle primordial du cheval dans la chasse au cerf, son sens devenait bien Ă©vident. C’était la persĂ©cution de l’Ange Phallophore par l’Ange Anal, le pourchas et la mise Ă  mort d’Alpha par OmĂ©ga » MTR 392. C’est la mort des trois enfants empalĂ©s, HaĂŻo, Haro et Lothar, percĂ©s d’omĂ©ga en alpha » MTR 519 qui constitue la rĂ©alisation profane de la phrase de le plan physique aussi Tiffauges lui attribue dĂšs le dĂ©but un caractĂšre mythique en Ă©crivant dans son journal qu’ [i]l y avait du SilĂšneFootnote 116 en lui » MTR 207. Avec son obĂ©sitĂ© qui annonce le Tiffauges adulte, son sexe minuscule » MTR 240, ses lunettes, son Ă©criture de la main gauche, sa lecture des signes, son intemporalitĂ©, Nestor est sans doute le plus important des nombreux alter ego de 117 Jean-Bernard Vray consacre une analyse trĂšs dĂ©taillĂ©e et convaincante au rapprochement entre Tiffauges et le personnage principal de Le dĂ©sespĂ©rĂ© de LĂ©on Bloy, alter ego dont le nom de CaĂŻn Marchenoir fait preuve d’autant de recherche et de jeu que ceux consentis par Tournier pour caractĂ©riser ses personnages. Vray conclut que Tournier voit Ă  l’Ɠuvre chez Bloy un goĂ»t obsessionnel de l’interprĂ©tation, la fascination pour la symbolique hĂ©raldique dont il dotera aussi Tiffauges » p. 269. Ou encore Le dĂ©lire interprĂ©tatif rapproche singuliĂšrement Tiffauges de Bloy [
] » p. 273.Si le rapprochement anagrammatique entre Nestor et Ternes est quasiment parfait quant Ă  l’inversion syllabique, son influence est aussi presque complĂšte sur la conduite et la vie de Tiffauges garagiste Ă  la Porte-des-Ternes et aprĂšs. Il donne Ă  Tiffauges deux surnoms Ă  caractĂšre fort affectif. Le premier, diminutif, petit Fauges » 3 fois, fait allusion Ă  la physionomie rachitique du jeune Tiffauges dont il est le protecteur, alter ego qui peut ĂȘtre interprĂ©tĂ© comme faux je du point de vue de 118 Le deuxiĂšme, tout aussi affectif mais plus ambigu, Mabel » 6 reprises, peut se comprendre comme ma belle », bien sĂ»r. Mais il semble faire Ă©galement Ă©cho au blĂąme, la sanction du conseil de discipline infligĂ©e Ă  Tiffauges, qui coĂ»te indirectement la vie Ă  la grande surprise de Tiffauges, Nestor jouit au CollĂšge Saint-Christophe d’un statut d’intouchableSon autoritĂ© sur tous les Ă©lĂšves Ă©tait indiscutĂ©e, et les maĂźtres eux-mĂȘmes paraissaient le craindre, et lui concĂ©daient des privilĂšges qui m’avaient paru exorbitants au dĂ©but, alors que j’ignorais qui il Ă©tait. MTR 206 Ce prestige » et son pouvoir » MTR 240, sa force » et son esprit dominateur » MTR 216 mettent Nestor sur un piĂ©destal, trĂŽne qui est inversĂ© dans la scĂšne nocturne dĂ©crite dans les dĂ©tails scatologiques par Tiffauges sur plusieurs pagesLe siĂšge de bois sombre Ă©tait bizarrement juchĂ© sur une maniĂšre de podium Ă  deux marches, vĂ©ritable trĂŽne » qui se dressait pompeusement dans le fond de la piĂšce. Nestor me tourna le dos et gravit ces degrĂ©s lentement, comme accomplissant dĂ©jĂ  un acte rituel. Parvenu au pied de son trĂŽne, il fit glisser son pantalon qui tomba en tire-bouchon sur ses pieds. MTR 239–240 Au lieu de ridiculiser Nestor, cette scĂšne a un effet contraire sur Tiffauges, qui [s]e mi[t] pour la premiĂšre fois Ă  l’aimer » MTR 240. C’est prĂ©cisĂ©ment dans cette position avilissante qu’aux yeux de Tiffauges le prestige philosophique et mĂȘme religieux voire sacrĂ©Footnote 119 de Nestor se rĂ©alise pleinement Il se posa sur le trĂŽne et ressembla aussitĂŽt Ă  un sage hindou, Ă  un bouddha mĂ©ditatif et bienveillant » MTR 240. Les deux sens contraires et, dans l’esprit du roman, sans doute complĂ©mentaires du mot trĂŽne se rejoignent dans le plaisir royal » MTR 241 Ă©prouvĂ© par Nestor Ă  la fois au niveau de son prestige et de sa 120 Or, ces deux trĂŽnes opposĂ©s si longuement dĂ©crits et si caractĂ©ristiques anagrammatiquement rĂ©unis dans le personnage de Nestor sont le reflet exact de son 121 Nestor est ainsi la personnification du thĂšme de l’Alpha et de l’OmĂ©ga introduit par lui-mĂȘme, jusque dans son Hitler et Hermann Goering GöringDans son chapitre intitulĂ© La dĂ©chirure »,Footnote 122 BouloumiĂ© 1988, p. 128 consacre des pages trĂšs intĂ©ressantes au mythe des jumeaux et Ă  leurs noms. Pour elle [ce mythe] finit par exprimer l’écartĂšlement de la conscience entre le bien et le mal. C’est le cas pour Gilles & Jeanne oĂč les noms historiques semblent se plier Ă  l’intuition gĂ©mellaire de l’auteur. Les deux noms ont le mĂȘme rythme binaire, la mĂȘme fricative au dĂ©but. Seul, le i s’oppose au a, le l au n. Mais Gilles est le jumeau dĂ©moniaque de Jeanne d’Arc ». AilleursFootnote 123 nous avons Ă©galement attirĂ© l’attention sur ce titre et la combinaison de ces deux noms historiques. Qu’en est-il sur ce plan pour Le Roi des Aulnes? Est-ce que Tournier a trouvĂ© moyen de tirer profit de maniĂšre significative des noms des personnes de l’Histoire devenues de ce fait mĂȘme des personnages historiques dans ce roman?ÉphraĂŻm Ă©chappe Ă  l’extermination des Juifs organisĂ©e et orchestrĂ©e par le rĂ©gime nazi, dont le chef, Adolf Hitler, n’épargne pas non plus ses propres jeunes citoyens. Tiffauges s’en rend compte seulement Ă  Rominten Ă  l’occasion de l’anniversaire du FĂŒhrer— Vous ne savez pas que le 20 [avril] c’est l’anniversaire de notre FĂŒhrer? Chaque annĂ©e la nation allemande lui offre en cadeau d’anniversaire toute une gĂ©nĂ©ration d’enfants! MTR 401. Tournier s’explique Ă  ce sujet comme suitÀ mesure que j’avançais dans mes recherches, je voyais affluer des dĂ©tails qui confirmaient la vocation ogresse du rĂ©gime nazi. L’un des plus frappants est cette date du 19 avril Ă  laquelle solennellement tous les petits garçons et toutes les petites filles ayant eu dix ans dans l’annĂ©e – un million d’enfants au total, quel beau chiffre bien rond! – Ă©taient incorporĂ©s, les uns dans le Jungvolk, les autres dans le JungmĂ€delbund. Pourquoi le 19 avril? Parce que le 20, c’était l’anniversaire d’Hitler. Le FĂŒhrer prenait ainsi des airs d’Ogre Majeur, de Minotaure auquel pour son anniversaire on fait offrande de toute une gĂ©nĂ©ration de petits 124 Dans une lettre Ă  Volker Schlöndorff, metteur en scĂšne du film tirĂ© du roman, Tournier insiste pour que cette date soit ajoutĂ©e au 125 Sachons que la fĂȘte des ÉphraĂŻm tombe Ă©galement le 20 avril, la mĂȘme date donc que l’anniversaire du plus grand ogre de tous les temps, l’ogre de Rastenburg
 Si le nom d’Hitler ne prĂ©sente guĂšre des possibilitĂ©s au niveau onomastique, Tournier rĂ©ussit quand mĂȘme Ă  l’intĂ©grer dans son thĂšme de l’inversion maligne, par le biais du choix du nom d’ÉphraĂŻm. Nous pensons que la coĂŻncidence de ces deux anniversaires est symbolique et bien plus qu’un hasard il pourrait trĂšs bien s’agir ici d’un pied de nez, d’une grimace du judaĂŻsme vis-Ă -vis de son grand exterminateur. Tournier ne fuit pas ce genre de concours de circonstances, au contraire, on pourrait mĂȘme dire qu’il les recherche. Ainsi la population locale s’en prend, en vain, Ă  Tiffauges le 20 juillet 1944, la mĂȘme date de l’attentat Ă©chouĂ© contre Hitler. Ou encore le repas rituel consumĂ© par l’homme des tourbiĂšres appelĂ© le Roi des Aulnes, qui serait tombĂ© le mĂȘme jour de la derniĂšre cĂšne, et le jour de naissance de l’assassin Weidmann, le 5 fĂ©vrier 1908, qui coĂŻncide avec celui de 126L’addition des chiffres des deux anniversaires dont il est question plus haut, le 20 avril et le 20 juillet, correspond aux 40 napolas; leur multiplication concorde avec les 400 garçons de dix Ă  dix-sept ans formĂ©s dans chaque napola. S’il est encore question ici d’un hasard, c’est du moins un hasard recherchĂ© par l’auteur, tous ces chiffres Ă©tant mentionnĂ©s explicitement dans le roman. Ce type de d’opĂ©rations de calcul, qui s’apparentent au numĂ©rique kabbalistique, a Ă©tĂ© relevĂ© aussi par Gascoigne 1996, p. 8, qui observe que le roman se compose de 6 chapitres, 84 fragments datĂ©s rĂ©partis sur 3 sections de 36, 18 et 30 fragments datĂ©s chacune. Gascoigne constate que [c]uriously, all these groupings —36 + 18 + 30 = 84— within the first of the six parts of the novel are themselves multiples of six, which seems unlikely, in the hands of such a self-conscious constructor of narrative as Tournier, to be a coincidence ». L’explication de l’importance du chiffre six » est donnĂ©e dans la derniĂšre phrase du roman, par l’image de l’étoile Ă  six banches », signe de judĂ©itĂ© MTR 521.Le cas de Goering est plutĂŽt spĂ©cial aussi. La rencontre de Tiffauges avec GoeringFootnote 127 se fait suite Ă  la mĂ©saventure » MTR 368 de celui-lĂ , Ă  savoir la charge de deux troupeaux d’aurochs Ă  laquelle il rĂ©ussit Ă  s’échapper de justesse. Cet incident lui arrive au moment prĂ©cis oĂč il passe en mĂ©moire son passĂ© rĂ©cent sa migration vers le levant », l’affaire Martine et la guerre qu’elle avait provoquĂ©e » !, la survenue de l’Unhold et de l’homme des tourbiĂšres » et le soupçon qu’il rejoindrait peut-ĂȘtre finalement la nuit immĂ©moriale du Roi des Aulnes » MTR 368. RĂ©flexions sĂ©rieuses s’il en est du point de vue de Tiffauges, et qui contrastent avec la moquerie dont il est l’objet de la part du deuxiĂšme personnage du Reich » qui hurle de rire en se tapant sur les cuisses pendant le compte rendu en allemand de cet incident par Tiffauges. Cette moquerie se porte ensuite sur ses lunettes et Tiffauges dĂ©couvrit pour la premiĂšre fois l’une des marottes des maĂźtres du IIIe Reich, cette haine de l’homme Ă  lunettes, incarnant pour eux l’intelligence, l’étude, la spĂ©culation, bref le Juif » MTR 371.Footnote 128 Goering, qui fait penser Tiffauges Ă  Nestor et par sa corpulence et par son attrait de la scatologie MTR 380, se fait accompagner d’un autre ogre, le lion appelĂ© Buby ». Outre les diffĂ©rentes descriptions de Goering, qui sont presque toutes teintĂ©es d’ironie, le rĂ©sumĂ© fait par le narrateur de l’activitĂ© vĂ©nale du Reichsmarschall prend le format d’une tragĂ©die classiqueForcer un cerf, le tuer, l’émasculer, manger sa chair, lui voler ses bois pour s’en glorifier comme d’un trophĂ©e, telle Ă©tait donc la geste en cinq actes de l’ogre de Rominten, sacrificateur officiel de l’Ange Phallophore. Il en existait un sixiĂšme, plus fondamental encore, que Tiffauges devait dĂ©couvrir quelques mois plus 129 MTR 378Tout dans cette quatriĂšme partie du roman intitulĂ© L’Ogre de Rominten tourne ainsi autour de la nature ogresse de la personne historique de Goering. Or, nous pensons que Tournier n’aurait pas optĂ© de la mĂȘme maniĂšre et avec la mĂȘme insistance pour la prĂ©sence impertinente, proĂ©minente et dĂ©voratrice de ce grand ogre dans le roman si les quatre premiĂšres lettres du patronyme de celui-ci, Goering, n’avaient pas Ă©tĂ© prĂ©cisĂ©ment les mĂȘmes que celles du mot ogre. Goering incarne non seulement le thĂšme de l’ogre, il l’englobe anagrammatiquement jusque dans son 130ConclusionLe Roi des Aulnes est un roman musical » et un roman d’aventures, empreint de signes, roman qui reflĂšte un monde Ă  la fois historique et mythologique,Footnote 131 monde Ă©galement empreint de signes et de symboles. Limiter son attention en tant que lecteur aux seules difficultĂ©s d’interprĂ©tation rencontrĂ©es par le protagoniste, qui, en tant que diariste-narrateur, Ɠuvre certes dans ce sens par son caractĂšre dĂ©vorateur, c’est passer outre au travail d’interprĂ©tation, de conception, de fiction et d’écriture consenti par l’auteur au niveau des signes historiques et des symboles mythologiques, pour le fond et pour la forme. En d’autres termes, bien que l’auteur ait conçu Le Roi des Aulnes d’une telle maniĂšre que le lecteur aurait tendance Ă  se laisser manger par l’ogre Tiffauges, qui transpose ainsi sa nature ogresse mĂȘme au niveau de la lecture en tentant de s’emparer de l’interprĂ©tation, le roman prĂ©sente une richesse sĂ©miotique qui mĂ©rite encore bien d’autres lectures. Une fois admis que la lecture de la lecture des signes selon Tiffauges n’est pas une fin en soi car limitative, la nĂŽtre, effectuĂ©e Ă  rebours comme pour rĂ©pondre au principe d’écriture de Tournier et au thĂšme de l’inversion, a permis de confirmer une application particuliĂšre et de dĂ©couvrir une recherche parfois insolite de la part de l’auteur au niveau de l’onomastique. Avec l’interfĂ©rence et l’interdĂ©pendance, apparentes ou moins Ă©videntes, entre personnages, historiques ou non, lieux, Ă©vĂ©nements et leurs noms ou appellations, Tournier, en jouant sur les mots et en anagrammatisant les lettres, inscrit ce jeu formel dans le thĂšme de l’inversion et soumet au lecteur averti autant de signes qu’il invite Ă  dĂ©couvrir et dont il convient d’intĂ©grer la multiple interprĂ©tation dans la genĂšse et la signification globale du roman. NotesTous les mots suivis d’un astĂ©risque sont en italiques dans le cependant note peut s’étonner pourquoi Tiffauges ne parle pas de l’étymologie du mot ogre. Arlette BouloumiĂ© 1988, pp. 89–91 et 2013, p. 340, en expose les diffĂ©rentes possibilitĂ©s Ă©tymologiques. Voir aussi Platten 1999b, p. 89. Si ogre » provient de augure », Tiffauges est bien chargĂ© d’observer des signes pour en tirer des prĂ©sages et dĂ©terminer sa ligne de conduite en consĂ©quence. La combinaison avec Orcus », dieu de la mort qui rĂšgne sur l’enfer, complĂšte le tableau verrons plus loin que l’étymologie joue Ă©galement un rĂŽle important dans l’ critiques ont relevĂ© in extenso cette problĂ©matique de la vraisemblance et de certains anachronismes dans l’Ɠuvre de Tournier. Citons Korthals Altes 1992, p. 157, Koopman-Thurlings 1991, pp. 279–293 et 1995, Vray 1997, pp. 395–398, Platten 1999b, pp. 177–185.RĂ©fĂ©rence aux confuses paroles » du deuxiĂšme vers de Correspondances Les Fleurs du Mal, Charles ne prĂ©cise pas de quels signes il s’ texte du roman ne nous donne aucun exemple de cette Ă©criture adroite » de remarque laisse supposer qu’en Ă©crivant son journal Tiffauges s’expose et s’exhibe Ă  lui-mĂȘme et non pas Ă  autrui. LĂ  encore Tiffauges ressemble Ă  Nestor qui prononc[e] [des] mots qui ne s’adress[ent] selon son habitude Ă  personne » MTR 64. Paroles en l’air ou plutĂŽt paroles de mĂ©connu clamĂ©es dans le dĂ©sert et incomprises par le commun des mortels ?Worton 1986 avait dĂ©jĂ  signalĂ© cette mĂȘme propension de Tournier Ă  gĂ©rer et diriger l’interprĂ©tation de ces romans par le l’expression de l’absence d’ une capacitĂ© d’attention infinie » ce fragment recoupe la phrase de Flaubert mise en exergue du roman Pour qu’une chose soit intĂ©ressante, il suffit de la regarder longtemps* » MTR 191.Cette dichotomie complĂ©mentaire correspond Ă  l’idĂ©e fixe exprimĂ©e Ă  plusieurs reprises par Tournier, qui aimerait passer inaperçu, ne pas ĂȘtre vu pour pouvoir tout voir et aussi Jean-Bernard Vray 1997, pp. 76–80, 88.Pour Liesbeth Korthals Altes 1992, pp. 45–49 et 58 le dĂ©chiffrement des signes et l’écriture ou la production des signes sont deux faces d’une mĂȘme manipulation des signes », ces deux faces Ă©tant aussi Ă©crivons Histoire avec majuscule pour la distinguer de l’histoire, du rĂ©cit fictif du une interview Tournier dĂ©clare J’étais content que la guerre Ă©clate. C’était une rĂ©action de sale gosse qui voyait dans la crise gĂ©nĂ©rale un moyen d’échapper Ă  sa crise personnelle. Je ressuscite cet Ă©pisode dans Le Roi des Aulnes, quand Abel Tiffauges parvient Ă  Ă©chapper aux assises grĂące Ă  la dĂ©claration de guerre! » 2011, p. 32.Que cette objectivitĂ© soit juste ou pas, le lecteur est Ă  nouveau manipulĂ©, car le narrateur authentifie de maniĂšre claire et nette le statut et le contenu des Écrits aussi Ă  ce sujet David Platten 1991, pp. 292–293. PriĂšre d’insĂ©rer de l’Édition originale », dans Tournier 2017, MTR 542.On relĂšvera encore les aspects visuels par le vol d’hirondelles » et auditif par les accords de harpe ».Voir aussi l’article d’Anthony Purdy 1993, pp. 21–33.Le narrateur se livre Ă  toute une comparaison entre la France et l’Allemagne, en prĂ©cisant ce que Tiffauges Ă©tait venu chercher si loin vers le nord-est sous la lumiĂšre hyperborĂ©enne froide et pĂ©nĂ©trante tous les symboles brillaient d’un Ă©clat inĂ©galĂ©* » MTR 250.L’ogre qui se nourrit de viande rouge crue et qui creuse la terre Ă  la recherche de signes est exemplaire pour la concrĂ©tisation du concept nazi de Blut und Boden. Voir aussi MTR 437 et l’étude de Krell 1994, pp. 66–70.Il n’est pas prĂ©cisĂ© dans le roman si Tiffauges souffre aussi d’un strabisme. Toujours est-il que John Malkovich, qui joue le rĂŽle de Tiffauges dans le film tirĂ© du roman, prĂ©sente bel et bien une coquetterie dans l’Ɠil. Il est tentant de mettre la myopie et l’éventuel strabisme de Tiffauges en rapport avec le sens de louche synonyme de sinistre retenu comme qualificatif pour son journal Écrits sinistres* ». Notons aussi que la myopie de Tiffauges est compensĂ©e par le dĂ©veloppement des autres sens l’ouĂŻe, l’odorat, le goĂ»t et le Tiffauges, qui ne lui = le comte de Kaltenborn avait rien rĂ©vĂ©lĂ© de sa race ogresse, ni de la complicitĂ© qui l’unissait au destin », se dĂ©clare avide d’en apprendre davantage » MTR 459.Il s’agit ici d’un nĂ©ologisme qui combine symbole » et diable ».Notons l’étymologie du mot chiffre qui remonte Ă  l’arabe sifr dont le sens est vide ou zĂ©ro. Voir Ă  ce sujet JimĂ©nez 2016, pp. 327–337.Krell 1994, pp. 188–189.Voir Ă  ce sujet par exemple son Gilles and dĂ©sorientation est Ă  prendre au pied de la lettre elle explique pourquoi Tiffauges se laisse guider sans discuter » MTR 521 par ÉphraĂŻm Ă  la fin du thĂšme de la chasse est bien sĂ»r insĂ©parable de celui de l’ogre. Nous y photographie, on l’a vu, s’inscrit aussi dans la thĂ©matique de l’inversion, l’image positive Ă©tant consignĂ©e sous sa forme est le jardin clos par les galeries du cloĂźtre Saint-Christophe qui sert de cour de rĂ©crĂ©ation. Ce lieu est dĂ©crit aussi par Tiffauges comme prison verte » MTR 209.Entre guillemets dans le = nationalpolitische incendies, toujours des incendies ! Voir au sujet du rĂŽle du feu dans l’Ɠuvre de Tournier Krell 1994, pp. 16–22 et 118–126.C’est le terme utilisĂ© par Tournier pour appeler cette histoire. Voir BouloumiĂ© 1989, p. 151.Notons aussi qu’à l’inverse le passage de la tradition orale, domaine privilĂ©giĂ© du conte, Ă  la tradition Ă©crite correspond Ă  l’humanisation dans le sens oĂč, avec l’écrit, le fĂ©erique et le mythique perdent du terrain au niveau bestial au profit du rĂ©el et du 2011, p. 109. Voir aussi nos remarques sur le nom de Reinroth infra.Ibid., p. p. 109. Voir aussi nos remarques sur les noms allemands infra. Dans Pourquoi je n’ai pas changĂ© de nom, Michel Tournier s’explique sur le phĂ©nomĂšne des pseudonymes. Relevons notamment celui du mystique Angelus Choiselus Choisel Ă©tant le nom du village oĂč il habite. Signalons aussi que le nom de Tournier et, par paronomase, le verbe tourner » s’inscrivent dans le mĂȘme champ sĂ©mantique que celui de l’inversion, au niveau thĂ©matique et p. 193. Cet orchestre symphonique a Ă©tĂ© fondĂ© en 1861 par Jules Pasdeloup. Notons aussi que Tournier se montre extrĂȘmement sensible Ă  ce type de coĂŻncidences. Voir nos remarques sur Kaltenborn/Kaltenbronn et Abel Tiffauges/Philippe Janssen infra, comme celles sur les dates d’évĂ©nements ou d’anniversaires qui coĂŻncident infra.Bevan 1986, pp. 57–62 et 64–65.Tupik ≈ tu piques, en rĂ©fĂ©rence Ă  la barbe de son pĂšre rĂ©barbatif. Mais Tournier savait-il que pik » signifie bite » en nĂ©erlandais quand il a choisi le nom de Tupik pour ce personnage qui procĂšde Ă  sa castration ?Gagneron ≈ Gag-NĂ©ron, Lucien exĂ©cutant une parodie d’empereur romain au ≈ vera connotation Milan, centre de mode avec ses mannequins objets d’Étienne photographe, et mille ans, l’intemporalitĂ© du Vox ≈ spiqueur » Ă  la Durieu ≈ opposition Dieu – rien », anagramme signalĂ©e par Klettke 1993, pp. 47–61.Tournier s’en explique dans Le Vent Paraclet, en jouant encore sur les mots Qui porte l’enfant l’emporte. Qui le sert humblement le serre criminellement » MTR 1397. Voir aussi nos remarques infra sur Saint-Christophe et de trois jours plus tard, la rĂ©apparition dans le roman du mot euphorie est relatĂ©e Ă  cet Ă©vĂ©nement MTR 262.Le cadre du prĂ©sent article ne permet pas d’entrer dans le sujet du caractĂšre maternel ou androgyne de Tiffauges. Contentons-nous d’évoquer la derniĂšre partie du roman oĂč Tiffauges recueille ÉphraĂŻm et s’en occupe comme une a du mal Ă  comprendre l’affirmation de Robert Sabatier, ami de Tournier, selon laquelle [celui-ci] dĂ©teste les calembours et la forme d’humour joyeuse et blagueuse qui est la mienne » Tournier 2011, p. 216.Cette utilitĂ© n’est pas que littĂ©raire dans une lettre adressĂ©e Ă  GĂ©rard Depardieu Tournier tente de convaincre l’acteur Ă  jouer le rĂŽle principal de son roman en Ă©crivant [c]e film est le film le plus depardivin qui soit » BouloumiĂ© 2016, p. 187.Voir aussi Tournier 2011, p. 246.Nous reviendrons in extenso sur le rĂŽle de l’anagramme dans Le Roi des aussi Klettke 1993, pp. 47–66; Gasgoigne 1996, pp. 12–14 et 207 et Arlette BouloumiĂ© dans Tournier 2011, p. 246.Notons cependant qu’il n’est question que de six chapitres dans la structure formelle du roman et que leurs titres ne correspondent en rien Ă  la structuration avancĂ©e par Susan R » pourrait reprĂ©senter Ă©galement la rĂ©demption, ibid., pp. 243– Gascoigne titre son Ă©pilogue Tournier’s Signature ».Voir aussi Koopman-Thurlings 1995, pp. 185–188.Ce procĂ©dĂ© de la rĂ©miniscence est expliquĂ© Ă©galement par BouloumiĂ© 1993, pp. 9–20. On peut se demander si le plagiat, dont la prĂ©sence dans l’Ɠuvre de Tournier est reconnue voire revendiquĂ©e par lui-mĂȘme, n’est pas la forme extrĂȘme de l’intertextualitĂ© en tant que rĂ©miniscence donnĂ© que les crimes commis par Gilles de Rais ont Ă©tĂ© prouvĂ©s pendant son procĂšs et suivis de verdict la pendaison suivie par le bĂ»cher, il n’est pas lieu de l’utilisation du conditionnel qui sĂšme le doute sur le caractĂšre rĂ©el des consacre le passage en question Ă  l’influence de Gaston Bachelard sur lui, et notamment la dĂ©couverte de l’importance du MTR 217, 227 et surtout 437. Jonathan Krell, consacre un chapitre trĂšs intĂ©ressant Ă  l’opposition entre le sĂ©dentarisme et le nomadisme et leur rĂŽle dans l’Ɠuvre de Tournier 1994, pp. 26–31, 103–104. Pour les rĂ©fĂ©rences bibliques d’Abel, voir Gascoigne 1996, pp. 106–108, et Koster 1995, pp. 136–138.Voir aussi plus loin nos remarques sur les patronymes allemands. Liesbeth Korthals Altes 1992, p. 85 relĂšve aussi les noms significatifs des autres professeurs allemands, Keil = goupille » et Heck = enclos, haie ». Ajoutons encore celui du professeur Essig = vinaigre ».Dans son article consacrĂ© Ă  Tournier et Jonathan Littell, Rasson 2013, pp. 119–128 Ă©crit au sujet des noms des deux protagonistes de leur roman Et s’il est licite de voir dans le nom de Aue une dĂ©formation du mot allemand Auge, le nom du protagoniste de Tournier est, lui, germanisĂ© en Tiefauge [
], un nom de famille que le personnage des Bienveillantes aurait trĂšs bien pu porter ».Voir Bataille 1965. Notons aussi le palindrome formĂ© par le patronyme de Gilles de Laval, sire de Ă  ce sujet notre article Ă©crit en collaboration avec Smith 2009.Le Petit Robert 2016 dĂ©finit hongre » comme ChĂątrĂ©, parlant du cheval ». D’origine hongroise, les mots hongre » et ogre » sont Ă©tymologiquement apparentĂ©s Krell 1994, pp. 92–93.Avec le dĂ©placement de Tiffauges en Allemagne, le cadre parallĂšle germanique devient de plus en plus terne » dans le sens de sans Ă©clats, dĂ©lavĂ©, fade » correspond Ă©galement aux photos ou images en noir et blanc de la pĂ©riode de la Seconde Guerre mondiale vues par les yeux du spectateur de l’époque aprĂšs qui est habituĂ© aux clichĂ©s et aux vidĂ©os en couleur. David Bevan relĂšve aussi le choix judicieux de ce toponyme 1986, p. 34.Arlette BouloumiĂ© en parle au sujet des manuscrits de Tournier dans la Note sur la prĂ©sente Ă©dition » qui figure dans Tournier 2017, MTR LII-LIII.Arlette BouloumiĂ© avance que [l]e roman Les Plaisirs et les pleurs d’Olivier Cromorne [
] Ă©tait trĂšs noir. Les Ecrits sinistres qui en sont inspirĂ©s en gardent un souvenir attĂ©nuĂ© » 2011, p. 245.Voir Ă  ce sujet BouloumiĂ©, 2014, p. 127. Le nom de Cromorne a Ă©tĂ© retenu par Tournier pour rĂ©apparaĂźtre dans le conte Tupik dans Le Coq de signifie cour de marĂ©cage » et annonce ainsi la fin du de pantin » donnĂ©e par Le Petit Robert 2016. Grimace » 1 expression caricaturale du visage »; 2 attitude maussade de personne mĂ©contente »; 3 mine affectĂ©e par feinte » et 4 figure grotesque » Source Le Petit Robert 2016.Voir aussi Ă  ce sujet Redfern 1996, pp. 112–113.Une certaine prudence s’impose ici. Avec Le pied de la lettre, Trois cents mots propres, Tournier semble bien avoir voulu exprimer et concrĂ©tiser son amour pour les mots en soi. L’attirance pour lui des mots en k » en est un bel sa propension au grotesque, Tournier se rapproche lĂ  encore de la conduite de Phiphi. Voir pour le rĂŽle du grotesque chez Tournier Korthals Altes 1993, pp. 77–91.Nous ne reviendrons pas sur l’importance du Canada pour Tiffauges, celle-ci ayant Ă©tĂ© analysĂ©e de maniĂšre exhaustive et convaincante par Vray 1997. Vray distingue trois phases dans le cycle canadien du Roi des Aulnes pp. 34–41 et analyse le caractĂšre mythique du Canada pp. 425–429. Voir aussi Bergholz 2010, pp. 111–131, Bevan 1986, p. 25, et deux textes de Platten 1991, pp. 287–290 et 1999b, pp. 87–89. Ajoutons seulement aux trois apparitions du Canada le roman de Curwood, la cabane en Prusse-Orientale, le dĂ©pĂŽt des possessions des Juifs dans les camps d’extermination qu’on peut se demander si Tournier ne s’est pas laissĂ© inspirer par le tableau dressĂ© dans la premiĂšre partie de Ma cabane au Canada, chanson utopique » de Line Renaud. Citons trois vers de cette chanson qui faisait fureur vers la fin des annĂ©es 40 et oĂč on retrouve le cadre de l’abri de Tiffauges, y compris l’élan Ma cabane au Canada, c'est le seul bonheur pour moi », Toujours l'Ă©lan de mon cƓur/Reviendra vers ma cabane au Canada ». D’un autre registre, mais tout aussi curieux est l’apparition du nom de Bob Watson, le mari d’Édith, ancienne chanteuse d’opĂ©ra dans Le nain rouge. Il pourrait trĂšs bien ĂȘtre inspirĂ© par le Bobby Watson de La cantatrice chauve d’EugĂšne von Bibersee est un des Jungmannen de la napola dĂ©capitĂ© par la flamme arriĂšre d’un Panzerfaust MTR 495–497. Ce fragment ressemble Ă©trangement Ă  une scĂšne du film Die BrĂŒcke Le Pont 1959 du metteur en scĂšne Bernhard Wicki, oĂč des lycĂ©ens sont tuĂ©s dans les mĂȘmes circonstances en avril 1945. À l’approche de l’armĂ©e amĂ©ricaine, ces membres mobilisĂ©s dans le Volkssturm, ĂągĂ©s de 16 ans et totalement sans expĂ©rience militaire, sont appelĂ©s Ă  dĂ©fendre un pont devenu stratĂ©giquement inutile. Ce film, qui montre l’endoctrinement de la jeunesse allemande par le national-socialisme, fut un des plus grands succĂšs du cinĂ©ma allemand d’aprĂšs-guerre. Comme il l’a dĂ©clarĂ© dans les Lettres parlĂ©es Ă  son ami allemand Hellmut Waller, Tournier 2015 a admirĂ© ce film, dont on reconnaĂźt plusieurs Ă©lĂ©ments dans les derniĂšres pages du faisant, Tiffauges est Ă©videmment le porte-parole de Tournier qui, lui aussi, s’émerveille devant la beautĂ© des noms voir supra. Cette litanie contraste fortement avec l’énumĂ©ration des noms dont il est question dans le fragment de Phiphi de aussi note pigeons intĂšgrent ainsi le thĂšme de la gĂ©mellitĂ© Ă©laborĂ© dans les dĂ©tails au sujet de HaĂŻo et de Haro, jumeaux-miroirs* » MTR 448. Sans doute Tournier aurait Ă©tĂ© trĂšs intĂ©ressĂ© par les rĂ©centes recherches de la NASA sur les jumeaux Kelly, qui ont Ă©tĂ© sĂ©parĂ©s pendant plus d’un an, Scott sĂ©journant dans l’espace et Mark sur terre. Le vieillissement du dernier par rapport Ă  son frĂšre permettrait de conclure Ă  l’existence d’une source de jouvence dans l’espace. Ces deux thĂšmes, la gĂ©mellitĂ© et la jouvence, rĂ©unies ici scientifiquement, jouent un rĂŽle important dans l’Ɠuvre de Tournier, qui se sert du terme de juvĂ©nophilie » pour indiquer que l’une des caractĂ©ristiques du fascisme [est] de surĂ©valuer la jeunesse » Le Vent Paraclet, MTR 1383–1384.Pour Liesbeth Korthals Altes 1993, p. 89 ce passage prĂ©sente un sacrĂ© ambigu, ambiguĂŻtĂ© qui tient Ă  l’encodage d’une double perspective pour le personnage, la scĂšne est grave et relĂšve d’un sacrĂ© authentique. Pour le lecteur, le dĂ©tournement de formes et de contenus religieux traditionnels est flagrant, sans que toutefois se perde la dimension sacrale. Le grotesque est d’un sacrĂ© Ă  la fois intense et sacrilĂšge ».Le choix de ce prĂ©nom d’Arnim et non pas du prĂ©nom usuel et beaucoup plus rĂ©pandu d’Armin semble confirmer cette inversion qui reflĂšte le la derniĂšre exĂ©cution publique en noms de Haro et HaĂŻo s’inscrivent Ă©galement dans le thĂšme de la gĂ©mellitĂ©, la minime diffĂ©rence entre l’un et l’autre s’y reflĂšte. Tout comme les noms de Bidoche et de Bodruche dans Que ma joie demeure Tournier 1980. Ces noms de jumeaux, vrais ou faux, prĂ©sentent la mĂȘme assonance, leurs doubles syllabes se ressemblent et rĂ©pĂštent encore le binaire des exemple Petit Poucet, porteur des bottes de sept lieues, qui a sept ans, et ses six frĂšres ou les sept petites filles de l’ogre dans le conte du mĂȘme que Le Roi des Aulnes a Ă©tĂ© publiĂ© en parlant du Roi des Aulnes Ă  ceux qui ne connaissent pas le roman, nous avons constatĂ© Ă  plusieurs reprises que c’est de prime abord dans le sens de Roi des zones » qu’est compris le Decoin trouve que Tournier est formidablement douĂ© pour les titres » Tournier 2011, pp. 233–234. Dans une interview avec Franz-Olivier Giesbert Tournier se vante d’avoir choisi de beaux titres pour ses romans et se plaint en mĂȘme temps que les auteurs ne font pas assez d’effort pour en trouver qui conviennent Les lĂ©gendes du siĂšcle, Le Point culture, 5/11/2010.Notons que le frĂšre du grand-pĂšre du cĂŽtĂ© maternel de Tournier s’appelait Ă©galement Fournier. Dans Le Vent Paraclet, MTR 1359, Tournier indique que la source germanique de sa famille remonte Ă  ce prĂȘtre et professeur d’allemand. Quelques pages plus loin MTR 1368 ce patronyme revient quand Tournier parle de ses sĂ©jours Ă  Lusigny-sur-Ouche pendant la guerre et de la dĂ©portation en 1944 des membres de la famille Fournier, qu’il appelle ma » Monde, 24/11/70. Voir aussi BouloumiĂ© 1988, p. 80. Pour elle, le passage du Rhin constitue la sĂ©paration de ces deux versants. Elle constate aussi le rĂŽle important des chiffres et leur symĂ©trie dans le roman en remarquant que la rencontre avec le Roi des Aulnes se situe exactement au milieu du livre, p. 290 sur 580 pages de l’édition n’est pas Ă©tonnant que Tournier fĂ»t un grand admirateur du naturaliste mythique Huysmans, auteur d’À Rebours. Voir BouloumiĂ© 1989, p. 148, et Petit 1986, p. 233.BouloumiĂ©, ibid., p. 149. Voir aussi Ă  ce sujet Davis 1991, pp. 191–206. Magnan 1991, p. 208, utilise le terme de cocrĂ©ation pour indiquer le rĂŽle du lecteur attendu par encore et toujours!Les chiffres dont il est question ici sont en effet moins sujets Ă  discussion que ceux de l’énumĂ©ration des conquĂȘtes de Don Giovanni par Tiffauges MTR 273, chiffres dont la diffĂ©rence avec le libretto de Mozart est analysĂ©e de maniĂšre convaincante par JimĂ©nez 2016, pp. 329–336.Voir aussi Gascoigne 1996, p. 207, et les remarques de Tournier lui-mĂȘme au sujet de pseudonymes dans Tournier 2011, p. 109.Il est Ă  noter que Tiffauges, mĂ©galomane, se distingue et s’individualise tout de suite en Ă©crivant Un Ogre ? » avec majuscule. Voir aussi les commentaires Ă  ce sujet de Worton 1982, et Krell 1994, p. 90.En effet le rire semble ĂȘtre banni du reste du jeu de mots semble faire allusion Ă  plusieurs caractĂ©ristiques voire partis pris concernant le judaĂŻsme, allant de la notion du Juif errant au penchant et Ă  l’intĂ©rĂȘt pour l’ Ă©crit que ce type garçonne’ [Ă©tait] trĂšs en vogue depuis un certain roman Ă  succĂšs ». Il s’agit de La Garçonne de Victor Margueritte, paru en n’est pas non plus exclu que ce jeu de mots anagrammatique Rachel/LĂącher » corresponde aux rapports sexuels entre Rachel et Tiffauges. Elle lui reproche de faire l’amour comme un serin »; lui parle de l’acte sexuel insuffisamment retenu, diffĂ©rĂ© » MTR 196. David Gascoigne, 1986, p. 69, consacre quelques lignes bien intĂ©ressantes au rapport entre Rachel et Tiffauges. Si Tiffauges est un serin, Rachel est comparĂ©e par sa physique nez aquilin Ă  l’aigle, ce qui serait une prĂ©figuration de l’opposition entre l’aigle, symbole du nazisme prĂ©dataire, et les pigeons, proies inoffensives. Cette image s’inscrirait dans le thĂšme de la domination/soumission voir supra et Korthals Altes 1992, p. 59.La dĂ©sorientation de Tiffauges Ă  la fin du roman est Ă  double sens, bien sĂ»r, figurĂ© et littĂ©ral la perte de ses lunettes prive Tiffauges de la vue, du coup il dĂ©pend de la seule ouĂŻe, ce qui est encore concrĂ©tisĂ© par ÉphraĂŻm qui le guide par les oreilles. Pour une analyse plus approfondie du rapport entre Tiffauges et ÉphraĂŻm, voir Milne 1994, pp. 103–106.Sur la puretĂ© » et une certaine innocence » de Tiffauges, voir Krell 1994, pp. 150–151, et pour ses [
] goĂ»ts sadiques » pp. 186– texte dit qu’ÉphraĂŻm pouvait avoir indiffĂ©remment entre huit et quinze ans » MTR 504.BouloumiĂ© 1988, p. 43, relĂšve l’intĂ©rĂȘt de Michel Tournier pour l’étymologie au passage que la Porte d’ÉphraĂŻm est une des principales entrĂ©es de la ville de avait usurpĂ© lui-mĂȘme le droit d’aĂźnesse qui appartenait Ă  ÉsaĂŒ, toujours par ce mĂȘme principe de l’ BouloumiĂ© 1988, p. 45, Platten 1999b, pp. 105–106, et Petit 1986, pp. 235–236.L’alpha et l’omĂ©ga sont la premiĂšre et la derniĂšre lettre de l’alphabet grec. En termes bibliques elles symbolisent la toute-puissance de Dieu Je suis l'alpha et l'omĂ©ga, dit le Seigneur Dieu, celui qui est, qui Ă©tait, et qui vient, le Tout Puissant », Apocalypse, 1 au prologue de Gargantua oĂč Rabelais Ă©crit qu’Alcibiades louait Socrates en le disant semblable aux silĂšnes. Les silĂšnes Ă©taient des petites boĂźtes dĂ©corĂ©es d’images insolites renfermant des matiĂšres prĂ©cieuses. Rabelais a empruntĂ© l’image de silĂšne » Ă  son tour Ă  Erasme, la comparaison d’une personne avec un silĂšne Ă©tant courante parmi les humanistes. Les correspondances entre Nestor et le personnage de Rabelais sont Ă©videntes, notamment au niveau de la goinfrerie et de la digestion. SilĂšne est aussi le nom de la ville oĂč Georges de Lydda, assis sur son cheval blanc, combat un redoutable dragon qui dĂ©vore tous les animaux de la contrĂ©e et exige des habitants un tribut quotidien de deux jeunes gens tirĂ©s au sort » consultĂ© le 25 mai 2017. Cette histoire d’ogre tuĂ© se retrouve dans la LĂ©gende dorĂ©e de Jacques de Voragine dont la lecture est imposĂ©e Ă  Tiffauges au CollĂšge Saint-Christophe MTR 224. Notons au passage que le nom de Jacques de Voragine a dĂ» plaire Ă  Tournier par son rapprochement avec vorace ou voracitĂ©, caractĂ©ristiques pour le thĂšme de l’ encore Don Juan, Weidmann, l’élan appelĂ© Unhold, l’homme des tourbes appelĂ© Roi des Aulnes, Saint-Christophe, Bram Johnson, le protagoniste du PiĂšge d’or de Curwood, le fou Victor, etc. Pour Tournier, Don Juan est explicitement un ogre Tournier 2011, p. 94. Voir aussi Korthals Altes 1992, p. 45, et Koopman-Thurlings1993, pp. 93–105. Nestor est Ă  son tour un alter ego de Rogier Nimier dans Le Vent Paraclet MTR 1417 Tournier Ă©crit [qu’i]l y a un peu de lui dans le Nestor du Roi des Aulnes ».La traduction d’alter ego pourrait d’ailleurs ĂȘtre faux je d’une maniĂšre Altes 1993, pp. 77–91 parle de l’esthĂ©tique du grotesque qui se nourrit de l’inversion des valeurs » et constate qu’ [a]vec Tiffauges, comme son initiateur et prĂ©curseur Nestor, la dĂ©fĂ©cation [
] devient un art [
] ». Gascoigne 1996, p. 76, constate que le trĂŽne pour le rituel dĂ©fĂ©catoire de Nestor est devenu autel » pour Tiffauges adulte MTR 341 et 343.Dans une interview avec Koster 1984, p. 196, Tournier dĂ©clare Plus on s’enfonce dans la merde, plus on monte dans le ciel ». Voir aussi Dalmas 2005, pp. 91–109.Il va sans dire que le mot trĂŽne au singulier est Ă©galement un anagramme de Nestor, il suffit pour cela de remplacer l’accent circonflexe par le – 1988, p. 128.Voir Ă  ce sujet notre article Ă©crit en collaboration avec Smith 2009, pp. 187–189.Le Vent Paraclet, MTR 1384. Voir aussi Le Monde 1970.Lettre datĂ©e du 28 fĂ©vrier 1995 et reproduite dans BouloumiĂ© 2016, p. 186.Voici encore trois autres exemples des coĂŻncidences relevĂ©es ou recherchĂ©es par TournierDans le chapitre Inversion bĂ©nigne, inversion maligne », BouloumiĂ© 1991, pp. 35–36 parle de la dĂ©couverte de l’étĂ© 1989 par Michel Tournier 1989 l’explosion de de la bombe atomique d’Hiroshima eut lieu un 6 aoĂ»t Imaginez la lumiĂšre, les visages transformĂ©s des hommes d’Hiroshima. » Or le 6 aoĂ»t est la fĂȘte de la Transfiguration du Christ. Les corps sont rendus au soleil. Dans saint Matthieu le visage de JĂ©sus sur le mont Thabor resplendit comme le soleil et ses vĂȘtements devinrent blancs comme la lumiĂšre’ Matthieu, 17–1. Or ce sont des chrĂ©tiens qui ont envoyĂ© la bombe Ă  des non-chrĂ©tiens. VoilĂ  un exemple d’inversion maligne ».Dans la postface du mĂȘme recueil, p. 394, Tournier montre encore son intĂ©rĂȘt pour la coĂŻncidence des anniversaires en Ă©voquant le petit-fils de Per Christensen qui a choisi » ! de naĂźtre le jour mĂȘme de l’anniversaire de son grand-pĂšre une interview Tournier 2011, p. 201 dĂ©clare J’ai un dictionnaire encyclopĂ©dique dans lequel figurent non seulement l’annĂ©e de mort et de naissance des hommes cĂ©lĂšbres, mais la date au jour prĂšs. Je me suis aperçu, et je me demande qui le sait, que Shakespeare et CervantĂšs sont morts le mĂȘme jour, le 23 avril 1616. C’est Ă©norme! Le plus grand Ă©crivain espagnol et le plus grand dramaturge anglais sont morts le mĂȘme jour, la mĂȘme annĂ©e ! ».Voir aussi nos remarques supra sur l’intĂ©rĂȘt que porte Tournier aux 2013 relĂšve la passivitĂ© de Tiffauges et constate que le fait [que], de simple prisonnier de guerre, [il] se mue en dignitaire nazi ne relĂšve pas de son ambition, mais d’un concours de circonstances ». Plus loin Rasson prĂ©cise que c’est par un concours de circonstances [que Tiffauges] en vient, petit Ă  petit, Ă  assumer des responsabilitĂ©s dans un appareil nazi qui, il est vrai, exerce un attrait particulier sur lui dans la mesure oĂč il offre une soupape Ă  ses pulsions sexuelles ». La coĂŻncidence entre les attentats ratĂ©s commis le 20 juillet 1944 contre Tiffauges et Hitler pousse Rasson Ă  se demander si celui-lĂ  n’est pas l’alter ego de la rencontre physique directe entre un personnage fictif et une personne historique tout auteur se lance dans une affaire hasardeuse, l’invraisemblance pouvant facilement dominer l’interprĂ©tation par le lecteur. Rien de tel dans Le Roi des Aulnes, et c’est sans doute une autre preuve de la qualitĂ© littĂ©raire de l’Ɠuvre de Tournier une fois le personnage de Tiffauges connu et acceptĂ© » et celui de Goebbels reconnu conforme » par le lecteur, qui, certes, a Ă©tĂ© prĂ©alablement conditionnĂ© et manipulĂ© par l’auteur, leur rencontre semble ĂȘtre dĂ©coulĂ©e d’une logique tout Ă  fait plausible. Voir aussi Korthals Altes 1992, pp. 180–181 pour les effets de l’apparition de personnages historiques dans le roman Ă  la scĂšne avec BlĂ€ttchen plus tard dans le roman, Tiffauges ne rĂ©agit pas Ă  cette provocation. Il n’en tire pas non plus aucune leçon quant Ă  la vraie nature du Nazisme et semble ignorer totalement ce signe qui est pourtant Ă  ne pas manquer. Le port des lunettes est aussi la raison du mĂ©pris du professeur Otto Essig de la part de Goering, mĂ©pris qui tourne en colĂšre quand celui-ci comprend que la myopie d’Essig est la cause de l’abattement du plus beau cerf de ce sixiĂšme acte il s’agit, bien sĂ»r, de la rĂ©vĂ©lation de l’existence des camps d’extermination par 2011, p. 62 fait le rapprochement direct entre ogre et Goering Ă©pelĂ© tel quel Je voyais passer l’ogre Goering, le gros lourd rigolard qui se voulait populaire » on remarquera aussi la concordance rĂ©pĂ©tĂ©e quatre fois du son [g]. Tournier savait-il que le SS qui dirigeait la rĂ©cupĂ©ration des affaires et le vol des richesses des Juifs, surnommĂ© le comptable d’Auschwitz », le responsable du Canada, s’appelait Oskar Groening ? Ayant repris aprĂšs la Seconde Guerre mondiale une vie normale en Allemagne, oĂč il a occupĂ© la fonction de juge industriel et commercial, Groening a Ă©tĂ© condamnĂ© Ă  quatre ans de prison lors d’un procĂšs commencĂ© seulement le 20 avril ! 2015 devant le tribunal rĂ©gional de Le Vent Paraclet Tournier Ă©crit Roman apparemment* historique Les MĂ©tĂ©ores Ă©lĂšve l’évĂ©nement Ă  la puissance mythologique en effectuant une dĂ©duction romanesque de l’Histoire » MTR 1404. La mĂȘme chose pourrait se dire pour Le Roi des S. 2013. Michel Tournier De l’ironie Ă  l’humour, du roman au texte bref. ModernitĂ© de Michel Tournier pp. 39–53. Rennes Presses universitaires de Rennes. Coll. InterfĂ©rences. Google Scholar Bataille, G. 1965. Le ProcĂšs de Gilles de Rais. Paris Pauvert. Google Scholar Bergholz, R. 2010. A Simonidean tale. Commemoration and coming to terms with the past Michel Tournier’s Le Roi Des Aulnes. Journal of the Australasian Universities Language and Literature Association. 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Toute pagination du prĂ©sent chapitre se rapportant Ă  cette Ă©dition de la BibliothĂšque de la PlĂ©iade est prĂ©cĂ©dĂ©e de l’abrĂ©viation and permissions Open Access This article is distributed under the terms of the Creative Commons Attribution International License which permits unrestricted use, distribution, and reproduction in any medium, provided you give appropriate credit to the original authors and the source, provide a link to the Creative Commons license, and indicate if changes were made. Reprints and PermissionsAbout this articleCite this articlevan der Toorn, N. SĂ©miotique et onomastique dans Le Roi des Aulnes de Michel Tournier. Neophilologus 103, 23–65 2019. citationPublished 04 October 2018Issue Date 15 January 2019DOI Le Roi des Aulnes SignsNamesAnagramWordplayInversion FOCUS MAGAZINE 105Published on Oct 7, 2021COUVERTURE The Feebles ARCHI & DESIGN Michel Ducaroy / Axel Chay / Franklin Azzi EVASION Paris + Guide Urbain / Cheval Blanc Paris MODE Fiv... SocietyFOCUS MAGAZINE Tout est dans la logiqueDebilmĂštre, le test d'intelligence n'est pas un test de QI mais mesure plutĂŽt le sens de la logique et de la rĂ©flexion. Gardez la tĂȘte froide et lisez bien les questions!DebilmĂštre, le test d'intelligence se prĂ©sente sous la forme d'un QCM de 10 questions. A chaque page, 5 rĂ©ponses possibles. A vous de faire le bon choix. Si vous ĂȘtes attentif, il n'y a aucune raison que vous n'ayez pas 10/ effet, il ne s'agit ici que de questions piĂšges du genre "Quelle Ă©tait la couleur du cheval blanc d'Henri IV?". A chaque erreur, l'application ne manque pas de vous chambrer le test d'intelligence ressert tout le temps les 10 mĂȘmes questions et c'est un peu dommage. Cela en fait une application Ă  usage unique, Ă  tester sur tous ses amis avant de la le test d'intelligence est rĂ©pĂ©titif mais toutefois assez amusant. A essayer pour mourir un peu moins plusAmusantSens logique et rĂ©flexionLes moinsToujours les mĂȘmes questionsDĂ©couvrez des appsLes lois sur l'utilisation des logiciels varient d'un pays Ă  l'autre. Nous n'encourageons ni ne tolĂ©rons l'utilisation de ce programme non conforme Ă  la loi.

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